Page:Pelletan - Le Monde marche.djvu/111

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Si la nature avait donné la hache à l’homme, comme elle a donné la nageoire au requin, la hache aurait fait, dès lors, partie intégrante du corps, et rivée à demeure au poignet, elle lui aurait servi assurément à exécuter telle action déterminée. Mais elle l’aurait prodigieusement embarrassé, l’action une fois accomplie. Pour une œuvre qu’elle lui aurait facilitée, elle lui en aurait interdit je ne sais combien de milliers. Le progrès fait mieux que n’aurait pu faire la nature. Lorsqu’il invente un organe, il le prête seulement pour un acte et pour un moment. L’homme rentre pleinement après cela dans sa liberté de mouvement et d’action.

Le progrès aurait à sa disposition le blanc seing du Créateur, et pourrait donner à l’homme le vêtement comme la nature l’a donné au mouton, ou le couvert comme la nature l’a donné à la tortue, qu’il aurait bien garde d’user d’un semblable permis, car au lieu d’apporter un bienfait à l’humanité, il lui infligerait en réalité un supplice. Il condamnerait l’homme à toujours porter son toit sur son dos, et à gémir sous le faix, sans pouvoir passer et repasser alternativement de la vie de la nature à la vie d’intimité, et de la vie du foyer à la vie de l’action. Il l’obligerait à garder toujours la même fourrure sur son corps, sans pouvoir conserver pour aucune heure et pour aucune circonstance son droit de nudité, c’est-à-dire de sensibilité exquise répandue sur toute la surface de l’épiderme.

Mais c’est jouer sur le mot que d’appeler muscle ou