Page:Pelletan - Le Monde marche.djvu/114

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sorte d’extase scientifique, la vapeur exhalée de la chaudière, il l’enferme sous une triple lame de fer, et emporté par une goutte d’eau prisonnière qui bat d’un souffle haletant la muraille de sa prison, il fuit, il vole ; la colline apparaît et disparaît, l’horizon tourne autour de lui, et il arrive à heure fixe, du même pas que Jupiter autrefois traversait l’Olympe.

Malgré cette vitesse d’emprunt, l’homme verrait encore la proie lui échapper, car elle a l’espace entier à sa disposition, et elle peut tournoyer ici ou là au gré de l’instinct. Mais le progrès a prévu le cas depuis longtemps, il a coulé quelque part un grain de salpêtre, et l’homme a désormais dans la main la foudre à volonté et tue à distance. Il tourne, je le sais, l’invention contre lui-même, et il appelle gloire cet acte de folie. Mais patience, si quelqu’un peut abolir la guerre de conquête, c’est sûrement le progrès.

Soit, nous dit-on souvent, nous vous accordons que notre corps ait pu acquérir à la longue çà et là une force, un instrument que vous appelez muscle, que vous appelez organe par entraînement de métaphore, et que nous appellerons organe et muscle avec vous pour abréger la discussion. Mais, à part cette acquisition d’une mécanique plus ou moins ingénieuse enrôlée à notre service, quelle sensation de plus le progrès a-t-il apportée à nos sens ? quelle fenêtre de plus a-t-il ouverte à l’intelligence sur l’univers ? Voyons-nous plus clair que nos aïeux, et notre prunelle contient-elle plus de rayons ?