Page:Pelletan - Le Monde marche.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

susciter la caste, à reconstruire le fief, à maudire la révolution, à proscrire la démocratie, à baiser la main du premier Machiavel couronné qui a derrière lui une dynastie et règne à l’ancienneté, à crier à l’homme souffrant, au cadet de la société : Souffre, pleure, je ne te connais pas, je ne t’écoute pas, c’est ton lot, et ton lot à perpétuité, de gémir et de pourrir sur le fumier de la misère. Entre toi et moi entre ta race et ma race, le grand ordonnateur du juste et de l’injuste a tiré une ligne inflexible, une infranchissable frontière. À toi la paille, à moi la soie, à toi l’écuelle, à moi la coupe ; Dieu l’a voulu ainsi de toute éternité. Accepte son décret avec la même résignation que je l’accepte le premier. Après t’avoir créé d’un rebut de limon, il a fermé une porte d’airain sur ta destinée et la destinée de ta postérité jusqu’à la dernière génération, et au sommet de cette porte il a mis l’inscription du Dante : Laissez ici l’espérance.

Maintenant, tournez les yeux d’un autre côté. Voici les hommes de progrès ; ils ne prétendent pas sans doute renouveler la société d’un coup de baguette, ni substituer en un tour de main, par un miracle de leur génie, la science à l’ignorance, l’abondance à la pauvreté. Précisément, parce qu’ils sont les hommes du progrès, c’est-à-dire de la succession, de l’heure après l’heure, de la transformation à mesure, ils croient que la civilisation marche au pas du temps comme la gravitation dans l’espace. Mais ils marchent avec elle, mais ils lui