Page:Peluso – Souvenirs sur Jack London, paru dans Commune, 1934.djvu/11

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Après le dîner, qui ne se prolongeait guère, on passait au fumoir. Généralement, si personne ne jouait au piano, la discussion s’engageait sur un thème d’actualité. Mais souvent Jack proposait, comme débat, la question qui pour l’instant l’intéressait le plus à propos de l’œuvre qu’il écrivait. C’est ainsi que maints chapitres de ses romans sociaux furent discutés dans ce cercle intime.

La bonne fortune me fit tomber dans ce cercle juste au moment où se discutaient les principaux sujets des romans sociaux de Jack London.

J’avais connu Jack à la section socialiste de San Francisco dont j’étais alors le plus jeune membre. Et je lui avais montré mon premier travail littéraire : les Croquis de Californie. Puis, nous avions pris l’habitude d’aller nager ensemble dans la baie de San Francisco. C’est dans l’intervalle des nombreux matches qu’il m’imposait presque, car il était secrètement fier de montrer ses merveilleuses qualités d’athlète, qu’étendu sur le sable, au soleil, il parlait de littérature et de littérateurs. Il était avide de connaître le monde littéraire européen plus à fond. Il avait déjà une opinion formée : il convenait de ce que, pour la forme, les littérateurs français, spécialement ceux du xixe siècle, étaient incomparables. Pour le contenu, toutefois, ils ne lui donnaient pas satisfaction. Seuls les Russes, opprimés sous la réaction tsariste la plus impitoyable, étaient, selon lui, capables de donner un contenu de révolte sociale à leur œuvre littéraire et il cherchait chez eux ses modèles. Un jour, je ne sais plus à quel propos nous parlions de Gorki, il me dit, non sans un certain orgueil, que la critique l’avait qualifié de : Gorki américain.

Il eut d’ailleurs occasion peu de temps après de montrer son attachement pour ce dernier lorsque celui-ci vint en Amérique, en 1907. Toute la petite bourgeoisie américaine ameutée contre Gorki, le poursuivait de sa haine et profitant du fait qu’il n’était pas en règle avec une des ordonnances de la loi sur les émigrants, voulait l’empêcher de mettre les pieds sur le sol de la « libre Amérique ». Parmi le nombre limité des intellectuels qui prirent sa défense, Jack London fut le seul écrivain qui éleva la voix en sa faveur.