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VI


Avec le Talon de Fer[1], Jack London atteignit le point culminant de sa carrière et de sa puissance littéraires. Le souffle révolutionnaire l’inspira, mais dès que l’écho de 1905 s’éloigna, son talent littéraire s’affaiblit aussi. La nouvelle direction qu’il donna à sa vie contribua à sa chute. Il se remaria.

La discussion et le jugement collectif du cercle intime fut remplacé par le tête à tête avec sa nouvelle femme. Ses amis se dispersèrent. Il se fit toujours plus rare à la section socialiste. Il s’isola et bientôt commença à souffrir de cet isolement. Plus sa popularité et sa gloire d’écrivain s’accroissaient, et avec elles ses formidables honoraires, plus aussi devenait menaçant le plus grave des dangers pour un écrivain : la stérilité.

La stérilité qui amena l’écroulement intellectuel de cet homme jusqu’alors si fécond fut aussi la cause principale de sa disparition prématurée.

Je me suis souvent demandé à qui ou à quoi il fallait imputer la ruine intellectuelle et physique de ce jeune écrivain au cerveau si lucide, à la musculature si puissante.

Pour moi, il n’y a aucun doute, Jack London fut victime du milieu capitaliste. En s’élevant rapidement grâce à son talent et à la faveur de ses écrits devenus très populaires, il devint la proie d’avides hommes d’affaires. La bourgeoisie américaine, en la personne de l’éditeur de Jack London, avait fait de lui en quelque sorte un artisan qu’elle exploitait. En un peu plus de dix ans d’activité littéraire, elle lui fit rendre des millions de profit, dessécha sa flamme d’écrivain révolutionnaire, endigua son élan, et le fit dévier de sa voie. Ses dernières œuvres en sont un témoignage convaincant.

Une part de la responsabilité tombe sur Jack lui-même : il avait poussé trop loin son amour pour l’isolement, et il avait fini par perdre ainsi tout contact avec la masse prolétarienne. Car, en somme, ce n’est pas du fin fond de cette

  1. Le Talon de Fer a été traduit en français. (1 vol. 12 fr. Librairie E. S. I.)