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LIVRE IV, § VII.

souviens-toi bien de ceci : c’est que, dans le plus mince intervalle de temps, et toi et lui[1], vous serez morts tous les deux[2], et que, bientôt aussi, il ne subsistera rien de vous, pas même votre nom.

VII

Supprime l’idée que tu t’es faite[3] ; et, du même coup, tu supprimes aussi ta plainte : « Je suis blessé. » Supprime le « Je suis blessé » ; et, du même coup, la blessure est supprimée également.

    c’était là un dicton proverbial.

  1. Et toi et lui. Il semble qu’il y ait ici quelque lacune de pensée. Lui, peut s’adresser à un fâcheux, contre lequel Marc-Aurèle aurait eu de l’humeur, ou à tel personnage qui aurait provoqué sa juste colère.
  2. Vous serez morts tous les deux. Considération bien vraie, mais à laquelle on pense rarement.
  3. Supprime l’idée que tu t’es faite. Cette pensée a beaucoup de vrai ; mais cependant elle a aussi ses limites. Autrement, l’idéalisme absolu aurait seul raison ; le monde tout entier, avec la série infinie de ses phénomènes, se réduirait à une pure apparence, et notre pensée seule aurait une réalité qu’elle-même perdrait bientôt. Mais il est certain que, dans une foule de cas, guérir notre imagination, c’est guérir notre mal, ou du moins l’atténuer beaucoup. Sénèque a dit : « La douleur ne sera pas grande, pourvu que l’opinion n’y ajoute point. Au contraire, si vous prenez courage et que vous vous disiez en vous-mêmes : « Ce n’est rien, ou en tout cas c’est bien peu de chose, ayons patience, » elle cessera bientôt. Vous l’adoucirez même en vous figurant qu’elle est douce à supporter. » Épître LXXVIII, à Lucilius.