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LIVRE IV, § XXXII.

XXXII

Songe un peu, pour prendre cet exemple entre tant d’autres, au temps de Vespasien[1]. Voici tout ce que tu y verras : On se marie, on élève ses enfants, on est malade, on meurt, on fait la guerre, on est en fête, on trafique, on cultive, on flatte, on a de l’arrogance, on a des soupçons, on dresse des embûches, on ourdit la perte de ses ennemis, on se plaint de l’état où l’on est, on fait l’amour, on amasse de l’argent, on brigue le consulat, on recherche la couronne ; eh bien ! cette existence que menaient tous les gens de ce temps a disparu complètement. Passe si tu le veux au temps de Trajan[2] ; c’est toujours la même chose, et son monde a cessé d’exister, comme a cessé l’autre. Considère si tu le veux encore les souvenirs de tous les autres temps, le souvenir de nations entières ; vois quelle multitude d’êtres humains sont tombés après quelques efforts passagers et se sont dissous dans les éléments ma-

  1. Au temps de Vespasien. L’empereur Vespasien, le premier de la famille Flavienne, était mort en l’an 79, c’est-à-dire quarante et un ans avant la naissance de Marc-Aurèle. C’est un souvenir déjà un peu lointain au moment où il écrit.
  2. Aux temps de Trajan. Trajan mourut en 117, après vingt ans de règne. Ce souvenir est plus rapproché que celui de Vespasien ; mais il