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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

Et toi, tu refuserais d’accomplir tes fonctions d’homme ! Tu ne t’élancerais pas avec ardeur à ce qui est si conforme à ta nature ! — Mais, diras-tu, il faut bien que je me repose. — D’accord ; le repos est nécessaire ; mais la nature a mis aussi des bornes à ce besoin, comme elle en a mis au besoin de manger et de boire. En cela pourtant, tu vas au-delà des bornes[1], et tu dépasses ce qu’il te faut. Au contraire, quand tu agis, tu n’en fais pas autant ; et tu restes en deçà de ce que tu pourrais faire. Cette négligence tient à ce que tu ne t’aimes pas sérieusement toi-même ; car autrement tu aimerais ta nature. Ceux qui aiment réellement l’art spécial qu’ils cultivent se dessèchent sur les œuvres que cet art leur inspire, oublieux du boire, oublieux du manger. Et toi, tu apprécies ta propre nature moins que le tourneur n’apprécie l’art du tour, moins que le danseur n’apprécie l’art de la danse, moins que l’avare n’apprécie son argent, ou le glorieux, sa vaine gloire ! Quand tous ces gens-là sont à leur ardent labeur, ils songent moins à manger ou à dormir qu’à avancer l’œuvre dont ils

    mêmes pensées à peu près.

  1. Tu vas au-delà des bornes. C’est une observation qui s’applique parfaitement à notre vie actuelle,