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LIVRE V, § V.

V

Je veux bien[1] que tu n’aies pas une profondeur d’esprit qui provoque l’admiration générale ; mais il est une foule d’autres qualités pour lesquelles tu ne peux pas dire : « La nature ne m’a pas favorisé. » Fais donc tout ce qui dépend absolument de toi seul. Sois franc, sérieux, patient à la fatigue, sans passion pour le plaisir, sans plainte contre le sort, vivant de peu, cordial, libre, dédaigneux du superflu, sobre de paroles, magnanime. Est-ce que tu ne le vois pas ? Que de choses ne peux-tu pas faire dès à présent, pour lesquelles tu n’as pas la moindre excuse d’incapacité naturelle ou d’inaptitude, et où cependant tu restes, de ton plein gré, dans une inertie qui te rabaisse ! Est-ce par hasard une impuissance de nature qui te nécessite à gronder sans cesse, à être nonchalant, à te flatter, à écouter ton malheureux corps[2], que tu accuses de tous

  1. Je veux bien. Tous ces conseils sont excellents ; et chacun de nous peut en faire son profit.
  2. À écouter ton malheureux corps. C’est une des causes les plus habituelles de nos faiblesses. La vie des anciens était en général beaucoup plus dure que la nôtre ; et le stoïcisme avait moins de peine à faire écouter ses sages remontrances et ses virils conseils, essentiellement spiritualistes.