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LIVRE V, § VIII.

n’eût point rendu ce décret pour aucun de nous, si ce décret n’avait point importé à l’ensemble des choses ; car la nature ne fait jamais rien qui s’égare, et qui ne concorde pas avec le plan général qu’elle s’est prescrit.

Voilà donc deux raisons pour aimer tout ce qui t’arrive. La première, c’est que la chose a été faite pour toi, que pour toi spécialement elle a été disposée dans l’ensemble, et qu’elle a avec toi ces rapports précis, venus de haut et se rattachant, dans la trame universelle, aux causes les plus saintes. La seconde, c’est que, pour Celui qui gouverne l’univers[1], ce qui arrive à chacun

    début du Paradis perdu, a dit : « Justify the ways of God to men. » Jupiter, c’est ici Dieu, ou la Providence.

  1. Celui qui gouverne l’univers. Dieu ici n’est plus confondu avec le monde, comme il semblait l’être dans quelques passages précédents, liv. IV, § 40 notamment. Voir plus loin le commencement du liv. VI, où cette pensée est encore plus nettement rendue. Sénèque a dit : « Nous cherchons une cause première et générale, laquelle doit être simple puisque la matière est simple. Nous demandons ce que c’est que cette cause. C’est une intelligence qui agit ; et de celle-là dépendent toutes les autres causes. » Épître LXV, à Lucilius. — Bossuet, citant l’Ecclésiaste, dans la Politique tirée de l’Écriture, liv. I, article 1er, a dit : « Le monde subsiste par cette loi : chaque partie a son usage et sa fonction ; et le tout s’entretient par le secours que s’entre-donnent toutes les parties. Nous voyons donc la société humaine appuyée sur ces fondements inébranlables : un même Dieu, un même objet, une même fin, une origine commune, un même sang, un même intérêt, un besoin mutuel, tant pour les affaires que pour la douceur de la vie. »