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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

XIII

Quand on veut se faire une juste idée des mets et des plats[1] qu’on a devant soi, on se dit : « Ceci est le corps d’un poisson ; ceci est le corps d’un oiseau ou d’un porc. Ou bien encore, on se dit : Le Falerne est le jus du raisin ; cette robe de pourpre est la laine d’un mouton, teinte avec la couleur sanguine d’un coquillage. » Quand on veut définir les plaisirs du sexe, on dit que c’est une excitation de l’organe suivie d’une excrétion et d’une sorte de spasme. Voilà les idées qu’on se forme de tous ces faits, en suivant à la trace les réalités mêmes, et en les observant à fond pour savoir au juste ce qu’elles sont en soi[2]. C’est avec la même franchise qu’il faut agir durant toute sa vie. Pour toutes les choses qui nous semblent dignes de notre attention et de notre confiance, il faut les

  1. Des mets et des plats. Le choix de ces exemples peut sembler assez singulier ; celui qui suit sur les plaisirs du sexe l’est peut-être encore davantage. L’idée, sans doute, est juste ; mais il était possible de recourir à d’autres images, celles-là n’étant pas nécessaires. La dernière surtout est rendue avec une crudité étonnante, que j’ai adoucie, mais que je ne pouvais faire disparaître.
  2. Savoir au juste ce qu’elles sont en soi. C’est la même pensée que plus haut, § 3, et dans le liv. III, § 11.