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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

ce qui a sérieusement du prix ; et quand une fois tu auras réglé ce point essentiel, tu feras bien peu de cas de tout le reste[1]. Ne sera-ce pas même là un motif pour que tu cesses d’estimer tant d’autres choses ? Sans cela, tu ne seras jamais ni libre, ni indépendant, ni maître de tes passions. Il te faudra haïr, jalouser, soupçonner ceux qui sont en mesure de t’enlever ce que tu as ; ou il te faudra combattre ceux qui ont ce que tu désires si ardemment. En un mot, quand on éprouve de ces misérables besoins, on en est réduit à vivre dans un trouble profond[2], et l’on élève à tout instant ses plaintes, même contre les Dieux[3]. Au contraire, en respectant et en honorant la pensée

    On a pu voir, par le premier livre tout entier, quelle reconnaissance profonde Marc-Aurèle avait vouée aux maîtres qui avaient fait son éducation. Il leur attribue à peu près tout ce qu’il vaut.

  1. Tu feras bien peu de cas de tout le reste. Marc-Aurèle pouvait citer son propre exemple ; et il avait été le premier à profiter des conseils qu’il donne aux autres.
  2. Vivre dans un trouble profond. Ce qui est absolument contraire à cette tranquillité d’âme si expressément recommandée par le Stoïcisme. En supprimant une foule de besoins du genre de ceux dont parle ici Marc-Aurèle, on supprime du même coup une foule d’occasions de chute et de faute pour l’âme. On la calme en la laissant vis-à-vis d’elle-même, sans qu’elle cherche à se porter au dehors plus qu’il ne convient.
  3. Ses plaintes, même contre les Dieux. S’il est une vertu que le Stoïcisme ait apprise à l’homme, c’est bien la soumission à la volonté divine et la résignation. Marc-Aurèle a montré, par sa propre vie, ce que cette résignation