Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Barthélemy-Saint-Hilaire.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
226
PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

pas plus fâcheux pour un coffre[1] d’être disloqué que d’être construit.

XXIV

Un air courroucé du visage est par trop contraire à la nature, puisque souvent la physionomie s’y gâte, et qu’à la fin elle disparaît si complètement que rien ne peut plus ensuite la ramener. Si cette remarque est vraie, applique-toi à en tirer cette conséquence que la colère elle-même est contraire à la raison ; car si l’on perd, en s’y livrant[2], jusqu’à la conscience de ses fautes, quel motif de vivre pourrait-on encore conserver[3] ?

  1. Un coffre. Il est clair que Marc-Aurèle ne peut pas vouloir mettre la créature humaine au rang des choses inanimées, comme le coffre, qu’il prend ici pour exemple. Voir plus loin, § 25.
  2. En s’y livrant. Le texte n’est pas tout à fait aussi précis ; mais il était nécessaire, dans la traduction, de marquer davantage le lien des idées.
  3. Quel motif de vivre pourrait-on encore conserver ? Cette conséquence paraît un peu excessive, si on la compare au fait d’où on la tire. Sans doute, il faut fuir la colère, qui gâte le visage et qui bouleverse les facultés de l’esprit. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour perdre tout motif de vivre : « Vivendi perdere causas. » Ce qui est vrai, c’est que l’homme qui a perdu toute conscience de ses fautes est bien près de n’être qu’une brute, où a disparu le sentiment moral, et qu’à cette condition il vaudrait mieux pour lui n’être pas que d’être ainsi. Peut-être faut-il aussi donner au début de