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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

dans les perceptions qu’on reçoit, ne pas se tromper[1] ; ne pas se concentrer en soi-même tout d’une pièce, et n’en pas sortir trop inopinément ; ne point être affairé dans la vie. Les hommes se tuent, se massacrent, s’accablent d’exécrations. Mais qu’est-ce que tout cela fait pour le devoir qu’a ton âme de rester pure, intelligente, sage et juste ? Autant vaudrait, en passant près d’une eau limpide et savoureuse, l’accabler d’outrages. Mais l’eau ne cesserait pas de s’épancher, toujours excellente à boire. On aurait beau y jeter de la boue et du fumier, elle aurait bientôt dissous ces ordures ; bientôt elle les aurait rejetées, sans en avoir contracté la moindre souillure. À quel prix peux-tu donc te faire en toi-même une source qui ne tarisse jamais[2], comme tarit un puits intermittent[3] ? Le seul moyen, c’est de te rendre à tout instant de plus en plus libre, sans jamais te départir de la bienveillance, de la simplicité et de la modestie indispensables.

    quatre maximes pratiques de Descartes, et la seconde de sa « morale par provision ». Discours de la Méthode, pp. 146 et 148, édit. de V. Cousin.

  1. Ne pas se tromper. Par le moyen indiqué plus haut, § 49.
  2. Une source qui ne tarisse jamais. Image aussi belle que juste.
  3. Un puits intermittent. J’ai ajouté ce dernier mot pour rendre la pensée plus claire. Il y a des éditeurs qui ont cru que ce dernier membre de phrase est une interpolation.