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LIVRE VIII, § LIII.

LII

Quand on ignore ce qu’est le monde[1], on ignore le lieu où l’on est ; quand on ignore pourquoi on a été naturellement fait, on ignore ce qu’on est soi-même, comme on ignore ce qu’est le monde ; et quand on en est à ignorer une de ces choses, on ne sait même pas pourquoi soi-même on a été créé par la nature[2]. Mais que te semble de celui[3] qui redoute le blâme, ou qui recherche les éloges, de ces hommes dont l’ignorance va jusqu’à ne savoir, ni où ils sont, ni ce qu’ils sont ?

LIII

Tu recherches les éloges[4] d’un homme qui, trois fois par heure, s’accable de ses propres[5] malédic-

  1. Ce qu’est le monde. Un ordre admirable, comme le dit *le mot grec, qui signifie tout à la fois les deux idées d’Ordre et d’Univers.
  2. Pourquoi on a été créé par la nature. Le Stoïcisme n’hésite pas à répondre que l’homme a été créé pour la sagesse et la vertu. C’est sa foi, et l’homme ne peut en avoir de plus haute ni de plus vraie. Sous une autre forme, c’est ce que Socrate avait dit avant le Stoïcisme.
  3. Mais que te semble de celui… Dédain de la vaine gloire dont les hommes peuvent disposer. Voir plus haut, liv. III, § 10, et liv. VI, § 59.
  4. Tu recherches les éloges. Suite du paragraphe précédent.
  5. S’accable lui-même de ses propres malédictions. L’ironie est amère ; mais la réflexion est juste, et bien souvent elle pourrait guérir toute notre vanité.