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LIVRE IX, § XXIX.

prétendus hommes d’État qui s’imaginent régler par la philosophie la pratique des affaires[1] ! Ce sont des enfants qui ont encore la morve au nez. Ô homme, que te faut-il donc ? Borne-toi à faire ce que présentement[2] la nature exige. Agis, puisque tu le peux ; et ne t’inquiète pas de savoir si quelqu’un regarde ce que tu fais[3]. Ne va pas espérer non plus la République de Platon[4] ; mais sache te contenter du plus léger progrès ; et si tu réussis, ne crois pas avoir gagné si peu de chose. Qui peut en effet changer l’esprit des hommes ? Et tant qu’on ne parvient pas à modifier les cœurs et les opinions[5], qu’obtient-on, si ce n’est l’obéis-

  1. Régler par la philosophie la pratique des affaires. La critique peut être juste ; mais Marc-Aurèle serait un des premiers à la mériter ; car on ne peut pas douter qu’il n’ait essayé autant qu’il l’a pu d’appliquer la philosophie au gouvernement de l’empire qui lui était confié. Ailleurs, liv. II, § 11, il fait un magnifique éloge de la philosophie ; et il a bien raison.
  2. Présentement. Voir plus haut, dans ce livre, § 6, le développement de cette pensée. Le passé n’est plus à nous ; l’avenir n’y est pas encore, et n’y sera peut-être jamais ; le présent seul nous appartient ; et encore !
  3. Si quelqu’un regarde ce que tu fais. Voir plus haut, liv. VIII, § 56.
  4. La république de Platon. Ainsi Marc-Aurèle prend la république de Platon pour un idéal inaccessible. Certainement il n’ignorait pas les objections irréfutables d’Aristote ; mais il considérait sans doute les principes platoniciens plutôt que le gouvernement dont Platon a essayé de faire la théorie. Les préceptes sont admirables en effet ; mais la combinaison imaginée par le philosophe ne l’est pas ; et surtout elle n’a rien de pratique.
  5. Modifier les cœurs et les opi-