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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

gens prêts à prendre assez tranquillement le mal qui lui arrive. « Sans doute, c’était un honnête homme, diront-ils ; c’était un sage. » Mais n’y aura-t-il pas aussi quelqu’un pour se dire, en fin de compte, et à part lui : « Nous voilà donc délivrés de ce pédagogue ; respirons enfin. Certes, il n’était méchant pour personne de nous ; mais je sentais bien qu’au fond du cœur il nous désapprouvait[1] ? » Voilà ce qu’on dit d’un honnête homme. Mais, nous autres, combien de motifs ne fournissons-nous pas à ceux qui, en grand nombre, voudraient être débarrassés de nous ? C’est là ce qu’on doit penser à son lit de mort, et la réflexion suivante te fera quitter la vie plus aisément : « Je sors de cette vie, où même mes associés de route, pour qui j’ai tant lutté, fait tant de vœux, pris tant de peine, désirent, malgré tout cela, que je m’en aille, espérant que ma mort leur procurera peut-être une facilité quelconque de plus ». Quel motif pourrait

    d’amertume ; et, au fond, il plaint ceux qui ne cherchent pas le bien aussi sincèrement que lui ; voilà tout. L’observation peut être généralisée ; et il n’est pas besoin d’être empereur pour que la mort de l’un soulage toujours quelque autre dans une certaine mesure.

  1. Au fond du cœur, il nous désapprouvait. Thraséas n’avait pas commis d’autre crime pour que Néron le fit mourir ; le tyran voulait se débarrasser d’un silence accu-