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LIVRE XI, § VIII.

entier. Tel est l’homme qui, en se séparant d’un seul autre homme, s’est détaché en même temps de la communauté entière. C’est une main étrangère qui coupe la branche, tandis que c’est l’homme qui se sépare lui-même de son prochain, qu’il déteste et qu’il fuit, sans se douter que, du même coup, il se retranche lui-même de toute la cité. Cependant Jupiter[1], qui a constitué l’association des hommes entre eux, nous a octroyé ce précieux don, à savoir que nous pouvons nous rattacher de nouveau[2] à notre voisin et redevenir encore une partie intégrante de l’ensemble. Mais, si cette séparation se répète souvent, elle rend, pour le membre qui s’était isolé, la réunion plus difficile, ainsi que la réconciliation. Le rameau qui, dès l’origine, a grandi avec le reste de l’arbre, et qui a toujours reçu la même sève, ne[3]

    pante et gracieuse. Mais il est vrai aussi qu’un homme peut se détacher d’un autre, parce que cet autre s’est détaché lui-même, par le vice, de l’ordre universel. C’est rentrer dans cet ordre que de s’éloigner de celui qui l’a violé.

  1. Jupiter. C’est-à-dire Dieu, qui a fait l’homme essentiellement sociable, et qui a fondé par là, en quelque sorte, la société civile.
  2. Nous pouvons nous rattacher de nouveau. Voir plus haut la même pensée, liv. VIII, § 34, où Marc-Aurèle remercie Dieu de nous permettre de rentrer dans l’ordre et dans la société, après que nous nous en sommes éloignés.
  3. On est donc tenu de pousser tous ensemble. Maxime de charité profonde et de tolérance mutuelle.