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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

désobéir[1] et à se révolter contre la position qui lui a été assignée ? Pourtant, aucune violence ne lui est imposée ; et, dans l’ordre qui lui est donné, il n’y a rien absolument qui ne soit conforme à sa nature. Et voilà que l’intelligence ne supporte pas la règle, et qu’elle tente de suivre une route toute contraire ! Car le mouvement qui nous entraîne aux injustices, aux excès, aux colères, aux douleurs, aux craintes, n’est pas autre chose que l’égarement d’un être révolté contre la nature. Quand notre raison, qui doit nous éclairer, s’irrite contre un événement quelconque de la vie, elle déserte également son poste ; car elle est faite pour être pieuse et pour adorer les Dieux[2], non moins que pour être juste. La piété et la soumission aux ordres divins sont indispensables à l’harmonie de la communauté, et elles sont plus augustes encore que la justice.

    toute religion.

  1. La seule à désobéir. C’est ce pouvoir à la fois monstrueux et presque divin, qui fait la grandeur de l’homme et sa faiblesse. En ce sens, on a pu dire par métaphore que l’homme est un ange déchu.
  2. Pour être pieuse et pour adorer les Dieux. Doctrine plus platonicienne encore que stoïcienne. Sénèque a dit : « Vous semble-t-il si étrange que l’âme aille trouver les Dieux ? Dieu vient bien trouver les hommes ; et qui plus est, faire sa demeure avec eux. L’âme ne peut être bonne si Dieu n’est avec elle. Il y a des semences divines répandues dans le cœur des hommes. » Épître LXXIII, à Lucilius. Divinæ particulam auræ, a dit Horace.