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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

d’un être intelligent et fait pour vivre en société.

VIII

Dans un cœur qui a su se dominer et se rendre pur, on ne trouverait rien[1] qui sentît la corruption, la souillure ou la saleté du vice. Jamais non plus dans un tel homme le destin ne peut surprendre la vie en un état incomplet, comme le serait le cas d’un tragédien[2] sortant de la scène avant la fin de son rôle et le dénouement du drame. Jamais vous ne trouveriez non plus en lui rien qui sente la servilité, l’affectation, la dépendance, l’embarras, la discorde intérieure, et le sentiment de la faute, qui a besoin de se défendre ou de se cacher.

  1. On ne trouverait rien. Se tenir toujours prêt à paraître devant Dieu, c’est un des préceptes les plus essentiels et les plus pratiques du Christianisme. La foi stoïcienne fait les mêmes recommandations.
  2. Le cas d’un tragédien. La métaphore n’a rien d’exagéré ; et c’est bien un rôle que chacun de nous vient accomplir sur la scène du monde. La seule différence, c’est que pour nous le rôle est sérieux, et qu’il est factice pour le comédien. Sénèque a dit : « Disposons donc notre esprit à prendre en gré tout ce qui arrivera, et surtout que la pensée de notre fin ne nous afflige pas. Il faut faire ses préparatifs pour la mort avant que de songer aux provisions pour la vie. » Épître LXI, à Lucilius.