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ne sont qu’un bruit de langues. Ainsi, voilà la gloriole mise à son tour de côté. Que reste-t-il qui ait de la valeur ? À mon avis, c’est de se mouvoir et de s’arrêter selon sa propre constitution[1] ; ce qui est aussi le but de toute étude et de tout art. Un art quelconque, en effet, s’efforce de mettre tel être ou tel objet en état de remplir l’office pour lequel il est constitué[2]. C’est ce que cherchent les vignerons en cultivant la vigne, et celui qui dompte les chevaux, et celui qui dresse les chiens. C’est aussi le but de l’éducation et de l’enseignement[3]. Voilà ce qui a de la valeur. Si ce but est atteint, tu ne chercheras à te procurer rien de plus. Ne cesseras-tu donc pas de donner du prix à beaucoup d’autres choses ? Tu ne seras donc ni libre, ni autonome, ni exempt de passions[4]. Fatalement, en effet, chacun envie, jalouse et soupçonne ceux qui peuvent lui enlever ces autres biens ; chacun tend des pièges à qui possède ce qu’il considère comme ayant du prix ; fatalement, la privation de ces biens nous trouble et nous ne cessons d’en faire des reproches aux Dieux [mêmes]. Au contraire, si tu respectes et si tu honores ta propre intelligence, tu seras content de toi-même, tu te sentiras en harmonie avec les hommes et d’accord avec les Dieux, je veux dire que tu les loueras de tout ce qu’ils t’accordent et de tout ce qu’ils ont ordonné.

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Les éléments sont emportés en haut, en bas, en cercle[5]. Le mouvement de la vertu n’a aucune de ces directions ; c’est

  1. [Couat : « nature. » — Cf. supra V, 16, note 3. — Les mots « se mouvoir » et « s’arrêter » appartiennent à l’Éthique stoïcienne. Nous verrons (XI, 12, en note) que l’« utilité » bien entendue se résume en eux.]
  2. [Couat : « de rendre l’objet qu’il crée propre à remplir l’office pour lequel il est créé. » — Mais le dressage ne crée pas le cheval, ni la viticulture la vigne. Il fallait d’ailleurs rappeler ici le mot « constitution » qui se trouve dans la phrase précédente, et dont l’équivalent grec n’est pas écrit moins de trois fois.]
  3. ἐπί τι σπεύδουσιν. Le pronom τι n’a pas de sens. On pourrait lire ἐπί τοῦτο, [ou, avec M. Stich, ἐπί ἄλλο τί σπεύδουσιν ;]
  4. [Ces trois expressions sont à peu près synonymes. Cf. XI, 20, note finale. Tout le développement qui suit a été repris par Marc-Aurèle à la pensée VI, 41.]
  5. [Couat : « Les éléments se meuvent en haut, en bas, circulairement. Le mouvement de la vertu, etc… » — Il y a en grec deux mots qui ne sont pas synonymes et ne peuvent être ici traduits de même : φορά et κίνησις. D’après Stobée (Ecl., I, 404), Chrysippe définissait la κίνησις « un changement de lieu ou de figure », — μεταλλαγὴν κατὰ τόπον ἢ σχῆμα, — et la φορά, « une κίνησις précipitée, » disons : « un mouvement précipité, » — ἐκ μετεώρον κίνησις ὀξεῖαν. Or, ici, soit que la définition de Chrysippe