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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

du rythme des choses qui se passent présentement. Observer quarante ans de la vie humaine[1] est donc la même chose que d’en observer dix mille. En effet, que verras-tu de plus ?

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Autre pensée :

« Ce qui est issu de la terre rentre dans la terre ; ce qui est né de l’éther retourne à l’espace céleste[2]. »

Sinon[3], ce sont des combinaisons d’atomes qui se désagrègent ; de même ensuite se dispersent ces éléments insensibles.

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Encore :

« Par des mets, des boissons et des sortilèges, ils essaient de détourner la marche de la destinée, et d’éviter la mort. Il faut supporter le vent qui souffle, envoyé par les Dieux, et souffrir des maux lamentables[4]. »

  1. [Cf. XI, 1 : « Un homme de quarante ans… a vu tout ce qui fut et tout ce qui sera. »]
  2. Euripide, Chrysippe.
  3. [Couat : « En d’autres termes, les atomes entrelacés se désagrègent, et de même les éléments insensibles se dispersent, » et, en note :

    « ἢ τοῦτο… καὶ τοιοῦτος. Gataker a cru que et καὶ étaient corrélatifs et qu’il fallait répéter au lieu de καὶ. Mais il n’y a point, à mon avis, d’opposition entre les deux membres de phrase. Marc-Aurèle n’oppose pas, comme il l’a fait ailleurs, les atomes et l’unité de l’univers ; il interprète seulement la pensée d’Euripide qu’il vient de citer, et la traduit dans le langage philosophique. Le premier signifie : « ou si l’on veut s’exprimer autrement, » ce que j’ai traduit par la locution française : « en d’autres termes ; » le καὶ qui précède τοιοῦτος marque simplement la continuation de la même idée. »

    On peut garder de cette note toute la critique de la conjecture de Gataker ; il est certain, en effet, que les « éléments insensibles » dont parle Marc-Aurèle sont les atomes eux-mêmes, dont la dispersion suit naturellement la dissolution de tous les corps qu’ils avaient formés. Encore faudrait-il expliquer les deux mots τοιοῦτός τις, après la conjonction καί. Marc-Aurèle veut-il dire que la « dispersion » est comme la « dissolution », également fatale ou aveugle ? C’est ce que j’ai cru pouvoir comprendre. — Manque-t-il dans nos manuscrits, à côté de διάλυσις, une épithète signifiant « fatale » ou « aveugle », qui rendait clair τοιοῦτός τις ? — Ou bien, τοιοῦτός τις est-il substitué ici à ποιός τις ? — Ou bien est-ce une glose ?

    Quoi qu’il en soit, toute la partie de la pensée qui suit la citation d’Euripide nous place incontestablement dans l’hypothèse atomiste. Dès lors est-il possible de voir en elle la suite et le développement naturel de la citation ? Les vers d’Euripide demandent à être rapprochés de telle pensée (supra IV, 4, 2e note) où Marc-Aurèle, cette fois un peu trop absolu et téméraire, affirme expressément que chaque élément retourne d’où il vient, — et aussi de celle (infra X, 7, depuis les mots : ἢ τροπή, τοῦ μὲν στερεμνίου εἰς τὸ γεῶδες jusqu’à la fin) où il se corrige et déclare avec plus de précision que chaque élément s’en va vers son semblable. Ce sont déjà des vers stoïciens.

    La présente pensée est donc un dilemme, le même que nous avons rencontré un peu plus haut (VII, 32) et que nous retrouverons à l’article X, 7. Le mot ἢ) en sépare les deux alternatives.]

  4. Euripide, Suppliantes, 1111. [Var : « et souffrir sans se lamenter. »]