Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Couat.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
159
PENSÉES DE MARC-AURÈLE

laisse détourner par aucune autre pensée ; après bien des tentatives, après avoir beaucoup erré à l’aventure, tu n’as trouvé nulle part le bien vivre. Tu ne l’as trouvé ni dans la dialectique[1], ni dans la richesse, ni dans la réputation, ni dans la jouissance, ni nulle part. Où est-il donc ? Dans une conduite conforme aux volontés de la nature humaine. Et comment suivras-tu cette conduite[2] ? En ayant des principes arrêtés d’où découleront tes tendances et tes actes. Quels principes ? Ceux qui concernent le bien et le mal, à savoir qu’il n’y a point de bien pour l’homme, en dehors de ce qui le rend juste, tempérant, courageux, libre, et point de mal en dehors des vices contraires à ces vertus.

2

À chacune de tes actions demande-toi : qu’est-elle par rapport à moi ? N’aurai-je pas lieu de m’en repentir ? Encore un instant, et je serai mort, et tout aura disparu. Si mon action présente est celle d’un être intelligent, animé de l’esprit de solidarité, soumis aux mêmes lois que Dieu, pourquoi chercherai-je autre chose ?

3

Qu’est-ce qu’Alexandre, César et Pompée, à côté de Diogène, d’Héraclite et de Socrate ? Ceux-ci voyaient les choses ; ils en connaissaient le principe efficient[3] et la matière ; leur principe dirigeant était toujours le même[4]. Les autres, au contraire, que de choses ils devaient prévoir, que de servitudes ils devaient subir !

4

Tu aurais beau crever d’indignation, ils n’en continueront[5] pas moins à faire la même chose.

  1. [Cf. supra VII, 67 : ἀπήλπισας διαλεκτικὸς… ἕσεσθαι, — et toute la dernière phrase.]
  2. Les deux verbes à la 3e personne, ποιήσει et ἕχῃ, supposent un sujet à la 3e personne, le pronom τις, qui a disparu.
  3. [Couat : « la matière et la forme. » — Cf. supra IV, 21, note finale.]
  4. τά ἡγεμονικὰ ἧν αὐτῶν ταὐτά. Le pronom ταὐτά n’est pas clair. Les uns écrivent ταῦτα, d’autres ταὐτά, d’autres enfin τοιαῦτα. Je préfère ταὐτά, qui me paraît plus conforme à la suite des idées ; mais il semble que l’adverbe ἀεὶ serait nécessaire.
  5. [Var. : « Sache qu’ils n’en continueront… » En grec, la phrase n’est pas faite. Le premier mot, ὅτι, est de trop ou suppose la chute d’un verbe principal.]