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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

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Je ne vois dans la constitution de l’être raisonnable aucune vertu contraire à la justice, mais j’en vois une contraire au plaisir, la tempérance.

40

Supprime ton jugement[1] au sujet de ce qui te semble pénible et tu es parfaitement à l’abri. — Qui, tu ? — La raison. — Mais je ne suis pas raison[2]. — Soit. Que ta raison donc ne s’afflige pas elle-même. Mais s’il y a quelque autre chose en toi qui souffre, laisse-l’en juger pour son propre comptes[3].

41

Ce qui fait obstacle à la sensation est un mal pour la nature animale. Ce qui fait obstacle à la tendance est également un mal pour la nature animale. Et il y a de même des obstacles qui sont des maux pour la constitution de la plante[4]. Par conséquent, ce qui fait obstacle à la raison est un mal pour la nature raisonnable. Applique-toi toutes ces observations. La douleur ou le plaisir t’atteignent-ils[5] ? C’est à la sensation[6]

  1. [Cf. supra IV, 7.]
  2. [L’objection serait plus forte si l’on ajoutait ici, devant « raison », un seul mot : « uniquement. » — Cf. XI, 20, note finale.]
  3. [Cf. supra VII, 14, 16, 33 ; VIII, 28 ; infra VIII, 41, 47 ; XII, 1, etc. — La pensée suivante est le développement de celle-ci.]
  4. [Var. : « Et il y a de même d’autres obstacles et d’autres maux pour toute organisation naturelle. » — Cette version (la seconde) est justifiée par la note suivante :

    « Toutes les éditions donnent, avec la plupart des manuscrits, τῆς φυτικῆς κατα σκευῆς. Le manuscrit A donne φυσικῆς. Je préfère cette leçon. On ne voit pas pourquoi, après avoir parlé de la nature des animaux, Marc-Aurèle parlerait de celle des plantes, pour passer ensuite à celle de l’intelligence. La phrase ἕστι δέ τι ἅλλο κτλ. me paraît avoir un sens général et s’appliquer à toute organisation naturelle. Autrement, il y aurait φυτικῆς φύσεως, comme ζωτικῆς φύσεως. »

    Les mots φύσις (« nature ») et κατασκευὴ (« constitution ») étant à peu près synonymes (supra VI, 44, 4e note), on s’explique que le premier de ces noms soit remplacé à côté d’un adjectif de même racine que lui (φυτικὴ φύσις) par le second ; en revanche, on ne saurait admettre l’expression φυσικὴ κατασκευή (« constitution naturelle »), qui fait en grec un pléonasme intolérable. Ce serait se payer de mots que prétendre la traduire littéralement en français par « constitution physique ».

    Je suis donc revenu à la première version de M. Couat, tout en m’étonnant avec lui que Marc-Aurèle ait nommé la nature de la plante entre celle de l’animal et celle de l’être raisonnable.]

  5. [Nous savons qu’ils ne sauraient « toucher » ou « atteindre » l’âme. — Cf. supra IV, 3, avant-dernière note ; V, 19, et la note rectifiée aux Addenda.]
  6. [C’est-à-dire au corps. — Cf., d’une part, p. 43, note 8, et 97, note 5 ; d’autre part, l’article précédent et les pensées analogues citées à la dernière note.]