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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

vivants en tant qu’êtres vivants ; l’autre est la peste de l’homme, en tant qu’homme.

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Ne méprise pas la mort ; fais-lui, au contraire, bon visage, parce qu’elle est aussi voulue par[1] la nature. La dissolution de notre être[2] est un fait naturel, tout comme la jeunesse et la vieillesse, comme grandir, être adulte, avoir des dents, de la barbe, des cheveux blancs, comme la procréation, la grossesse, l’enfantement et les autres phénomènes qui arrivent avec les saisons de la vie. L’homme se conforme donc à la raison, lorsqu’au lieu de se montrer vis-à-vis de la mort mal disposé[3], emporté, orgueilleux, il l’attend comme un des actes de la nature[4]. Et de même que tu attends en ce moment le jour où ton enfant sortira du ventre de ta femme, accueille de même l’heure où ton âme s’échappera de son élytre. Mais veux-tu une règle, sans doute assez vulgaire, capable néanmoins de fortifier ton cœur[5] ? Ce qui te rendra surtout bienveillant pour la mort, c’est d’examiner les objets qui t’entourent, et dont tu vas te séparer, c’est de te dire avec quelles mœurs ton âme ne sera plus mêlée. Ne t’irrite pas cependant le moins du monde contre ceux-ci[6] ; tu dois, au contraire, t’intéresser à eux et les traiter avec douceur, mais en te rappelant que ces hommes dont tu vas être délivré n’ont pas les mêmes dogmes[7] que toi. Un seul motif, si même il pouvait y en avoir un, était capable de t’attirer vers la vie et de t’y rattacher, c’eût été

  1. [Var. : « parce qu’elle est aussi une des lois de la nature. »]
  2. [Couat : « de notre corps. »]
  3. [Couat : « téméraire. » — C’est ὁλοσχερῶς que M. Couat essaye de traduire ainsi. Pierron avait écrit « méprisant » ; Barthélemy-Saint-Hilaire « oublieux » ; M. Michaut « préoccupé ». Ὁλοσχερῶς ne signifie ni l’un ni l’autre ; il ne signifie rien ici. J’ai admis la conjecture de M. Rendall, δυσχερῶς.]
  4. [Cf. supra III, 7.]
  5. [Couat : « de fortifier particulièrement ton cœur. » — L’adverbe que j’ai supprimé semble traduire pour la seconde fois ἰδιωτικόν, qui l’a été très exactement — et suffisamment — par les mots « assez vulgaire » (cf. supra II, 10, en note).]
  6. [Couat : « contre les hommes. » — Renan (Marc-Aurèle6, p. 480) : « Ce n’est pas qu’il faille te brouiller avec eux ; loin de là. » Sur cet emploi assez fréquent du pronom αὐτῶν, αὐτοῖς, αὐτοὺς dans les Pensées, cf. supra VI, 6, en note. Marc-Aurèle ne désigne ainsi « que d’une manière vague ceux qu’il a en vue. Il paraît bien, ajoute Renan (l. l.), que Commode était du nombre. »]
  7. [Couat : « croyances. » — De même un peu plus bas. Cf. supra VIII, 47, 1re  note ; III, 16, note finale (en Appendice) ; VIII, 14, etc.]