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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

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Ou tu vis là où tu es, et tu t’y es habitué ; ou tu te transportes ailleurs, et tu l’as voulu ; ou tu meurs, et ta tâche est remplie. En dehors de cela il n’y a rien. Aie donc bon courage.

23

Que ceci soit toujours évident à tes yeux : ce qu’est la cour pour toi (?), un champ l’est pour cet autre[1] ; vivre ici ou au sommet d’une montagne, ou au bord de la mer, ou en quelque lieu que ce soit, c’est, en somme, la même chose. Tu arriveras tout droit au mot de Platon : « … enfermé dans un parc sur la montagne, et tirant le lait de ses brebis[2]. »

24

Quel est le principe qui commande en moi ? Qu’en fais-je à présent ? À quel objet est-ce que je l’applique présentement ? Serait-il dépourvu d’intelligence ? Se serait-il violemment détaché de tous sentiments de solidarité ? Serait-il mêlé à cette misérable chair et confondu avec elle au point d’obéir à toutes ses impulsions[3] ?

25

Celui qui fuit de chez son maître est un déserteur. La loi est notre maîtresse ; par suite, celui qui la viole est un déserteur. Mais celui qui s’afflige, qui s’irrite, qui s’effraie, ne veut pas que se soit produit dans le passé ou se produise dans le présent ou dans l’avenir tel événement prescrit par l’ordonnateur de toutes choses, la loi, qui répartit à chacun ce qui lui revient. Donc, celui qui s’effraie, ou s’afflige, ou s’irrite, est un déserteur[4].

  1. [ὅτι τοιοῦτο ἐκεῖνο ὁ ἀργός ἐστι. Ce texte est très corrompu. Couat : « ce champ est ce que tu voudras. » — J’ai lu ἐκείνῳ, et supposé après ὅτι une lacune de quelques mots, par exemple : οἷον σοὶ ἡ αὐλή.]
  2. [Théétète, 174, D–E : « En entendant l’éloge d’un tyran ou d’un roi, le philosophe pense au pâtre heureux… de tirer de ses troupeaux beaucoup de lait. Les rois aussi sont des bergers ; ils ont charge de faire paître et de traire une espèce d’animaux plus difficiles et plus dangereux… ; ils demeurent clos dans leurs murailles comme le pâtre en son parc sur la montagne. »]
  3. [Cf. supra VII, 16, et la seconde note.]
  4. [Cf. infra XI, 20.]