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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

faut avoir[1] une âme sereine qui n’ait besoin d’aucun secours extérieur ni de cette tranquillité qui vient des autres. Il faut être droit, non redressé[2].

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Si tu trouves dans la vie humaine quelque chose de meilleur que la justice, la vérité, la tempérance[3], le courage ; quelque chose, en un mot, de meilleur qu’une intelligence assez forte pour se suffire à elle-même, en dirigeant tes actes suivant la raison [droite], et pour te faire accepter la part qui t’est attribuée, sans que tu aies eu à la choisir, par la destinée ; si, dis-je, tu vois quelque chose de meilleur que cela, tourne-toi de ce côté de toute ton âme, et jouis de ce souverain bien que tu auras découvert. Mais si tu n’aperçois rien de meilleur que le génie[4] qui habite en toi, qui a rangé à l’obéissance ses propres penchants, qui fait la critique de ses représentations[5] et s’est

    qui transparaît sous les mots ἀνατεταχότος (discipliné) et ἀνακλητικὸν (signal) ; il entend par ὄρκος le « serment militaire » et traduit ainsi : « comme un guerrier… toujours prêt…, sans avoir besoin ni de prêter serment ni d’être surveillé par qui que ce soit. » Ces derniers mots faussent évidemment le sens du texte grec. « Témoin » et « surveillant » ne sont pas synonymes ; μάρτυρ n’appartient pas à la terminologie militaire. Peut-on, d’autre part, admettre entre les mots ὄρκος et μάρτυρ la rupture d’une métaphore qui se suivrait et se tiendrait depuis ἀνατεταχότος ? Il est donc vraisemblable qu’ὄρκος ne signifie point ici le serment du soldat. — D’accord avec M. Couat, j’ai considéré la proposition μήτε ὄρκου δεόμενος… comme le développement du mot εὔλυτος : l’absence de toute liaison entre ce mot et cette proposition m’y contraignait, à ce qu’il m’a semblé. Mais, d’accord avec les autres traducteurs, j’ai restitué à ὄρκος son sens usuel. De quels serments peut donc avoir besoin un moribond qui n’est pas prêt (μὴ εὔλυτος) ? Sans doute, de serments qui le rassurent et qui l’abusent : serments de complaisance ou de pitié ; vains serments qui n’engagent personne ; serments du médecin, des proches, des amis.]

  1. ἐν δὲ τὸ φαιδρόν. — Le texte est évidemment altéré, et plusieurs corrections peuvent être proposées. Mais le sens n’est pas douteux. J’ai traduit comme s’il y avait à peu près : ἐν δέ σοι ἔστω τὸ φαιδρόν, — ou ἔτι δὲ κτλ. La correction ἔνι ou ἔνεστι indiquée par Galaker, sans qu’il l’ait proposée formellement, ne me paraît pas bonne. La phrase ἐν δὲ κτλ continue celle qui précède et n’en est pas une conséquence. Pierron traduit : « c’est là qu’on trouve, » etc. Cette traduction est illogique.
  2. [Cf. infra VII, 12, et la note. — Ainsi était Maximus (cf. supra I, 15).]
  3. [Couat : « sagesse. » — Infra V, 12, il a lui aussi traduit σωφροσύνη par « tempérance ».]
  4. [Ce « génie », tel que Marc-Aurèle le définit plus bas (V, 27), c’est notre « principe dirigeant ». Sur les rapports du principe dirigeant avec les penchants ou mouvements de l’âme (ὁρμαί) et ses représentations (φαντασίαι), cf. deux notes aux pensées IV, 22, et VI, 8.]
  5. [Couat : « qui surveille ses pensées. » — Cf. infra XI, 16 : « aucune chose ne met en nous l’opinion que nous en avons… ; c’est nous qui créons les jugements que nous portons sur elles, et qui les gravons pour ainsi dire en nous-mêmes, quand nous pourrions ne pas le faire, ou, si nous le faisons par mégarde, les effacer. »]