Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Couat.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
57
PENSÉES DE MARC-AURÈLE

autel ; l’un y tombe plus tôt, l’autre plus tard ; il n’y a là aucune différence[1].

16

Veux-tu qu’en dix jours[2] ils te traitent de dieu, eux qui te regardent maintenant comme une bête sauvage, un singe ? reviens aux dogmes[3] et au culte de la raison[4].

17

Ne fais pas comme si tu devais vivre dix mille ans. La nécessité est suspendue au dessus de toi ; tant que tu vis, tant que tu le peux encore, sois un homme de bien.

18

Que de temps gagne celui qui ne regarde pas ce que

    (ἐναφανισθήση) absolue, puisque la raison séminale qui nous reprend est éternelle ; puisque le feu divin où toute âme retourne est la source unique des êtres : οί Στωῖκοὶ νοερὸν θεὸν ἀποφαίνονται πὔρ τεχνικὸν… ἐμπεριειληφὸς πάντας τοὺς σπερματικους λόγους καθ′ οὔς ἔκαστα γίνεται (Plutarque, Plac. phil., I, 7).

    On trouvera plusieurs fois dans Marc-Aurèle (et notamment X, 7 ; voir aussi les notes) le développement de cette pensée.]

  1. [Var. : « Cela revient au même. »]
  2. [Couat : « En dix jours tu sembleras un dieu à celui qui… » — Dans le texte grec de cette pensée, on lit non : τούτοις… οἶς…, mais αὐτοῖς… οἶς…. Or αὐτοῖς n’est pas l’antécédent naturel de οἶς. C’est encore à lui-même que l’empereur s’adresse ; il ne peut s’agir ici de tous ceux qui le jugent durement (comment pourrait-il espérer conquérir la foule en dix jours par sa seule sagesse ?) ; il ne s’agit même pas vraisemblablement de la cour, bien qu’on lise (à la fin de l’article VI, 12) que grâce à la philosophie l’empereur pouvait se faire supporter de la cour ; mais seulement d’une certaine catégorie de censeurs, à laquelle pense Marc-Aurèle en écrivant ces lignes, et qu’il lui suffit — se parlant à lui-même — de désigner par un vague pronom : « ils…, eux…, αὐτοῖς… » C’est au lecteur à préciser le sens de ces αὐτοῖς, αὐτῶν, αὐτούς, assez fréquents dans les Pensées, où ils ne désignent pas toujours les mêmes gens (infra IV, 38, et la note ; VI, 50 ; VII, 34) : parfois même (VI, 6, et la note), il faut suppléer le pronom pour entendre le passage. — Ici, la fin de la phrase nous induit à penser qu’il s’agit de certains Stoïciens ; il est vrai que leurs éloges, outrés comme leurs reproches, rappellent les exagérations de la foule. La foule dit déjà dans Aristote : ἢ θεός, ἢ θηρίον ; et ces Stoïciens, dit Plutarque comme Marc-Aurèle, vous font soudain de la pire des bêtes un héros, un génie, un dieu : ἐξαιφνης ἤρως τις ἢ δαιμον, ἢ θεὸς ἐκ θηρίου τοῦ κακίστου γενόμενος (textes cités par Pierron, p. 331). Mare-Aurèle n’a guère de ces engouements et de ces colères. En gardant sur certains points de doctrine son indépendance de pensée (cf. supra II, 10, et la note ; infra V. 13, en note ; V, 26, avant-dernière note ; IV, 21, dernières lignes de la dernière note), il peut donc railler les Stoïciens de ce genre, et pourtant tenir à leur approbation… Est-il même sûr qu’il les raille ? Avant de le supposer, il faut considérer que le mot ἀνακάμψῃς (reviens) est, en somme, une confession, et se rappeler qu’à la dernière pensée du livre III, Marc-Aurèle aussi compare aux bêtes les hommes qui « souillent le dieu qu’ils portent en eux ».]
  3. [Couat : « si tu reviens à ta doctrine. » — Cf. III, 16, fin de la dernière note.]
  4. [Var. : « si tu te plies à leurs opinions et t’inclines devant leurs raisonnements. »]