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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

possèdes tant de biens…[1], » parce que ce mot ne conviendrait pas du tout. Mais si l’on a dans l’esprit les biens qui paraissent tels au plus grand nombre, on écoute ces paroles du poète comique et on n’a pas de peine à les accepter comme bien appropriées. Le vulgaire même sent bien cette différence : sans cela il ne serait pas choqué de la première application et ne la repousserait pas[2]. Au contraire, s’il s’agit de la richesse et de toutes les chances heureuses du luxe et de la gloire, nous acceptons comme juste et spirituel le propos du poète. Poursuis donc et demande-toi s’il faut honorer et regarder comme des biens des objets tels qu’en y pensant on puisse dire de leur propriétaire : « Il est si riche qu’il ne lui reste pas un coin pour se soulager. »

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Je suis constitué de principe efficient[3] et de matière ; ni l’un ni l’autre ne disparaîtront dans le néant, pas plus qu’ils ne sont sortis de rien. Chaque partie de moi [aura donc toujours sa place assignée ; elle] sera changée en une partie de l’univers ; celle-ci, à son tour, se changera en une autre partie de l’univers, et ainsi de suite, à l’infini. C’est par un changement semblable que je suis né moi-même, et ceux qui m’ont engendré, et ainsi de suite, en remontant encore à l’infini. Rien n’empêche de parler ainsi, même si l’on conçoit l’univers gouverné de telle sorte qu’il passe par des périodes limitées[4].

  1. La citation est incomplète. La fin de la pensée a permis à Cobet de restituer le texte de Ménandre qui est rappelé ici. En réalité, ce texte tient non pas dans un vers, mais en deux moitiés de vers. Traduction complète : « Tu possèdes tant de biens qu’il ne te reste plus de place pour te soulager. » — [Les manuscrits donnaient ici : ἔτι ἀκοῦσαι δυνηθείν τι· ὑπὸ τῷ ἀγαθῷ γὰρ ἐφαρμόσει. Les vers de Ménandre, rétablis par Cobet, sont les suivants :

    οὐκ ἔχεις ὅ[ποι χέσῃς]
    ὑπὸ τῶν ἀγαθῶν, εὗ ἴσθι.

    C’est Nauck qui a donné au présent passage la rédaction définitive : ἐπακοῦσαι δυνηθείν τὸ· ὑπό τῶν ἁγαθῶν· οὐ γὰρ…]

  2. οὐ γὰρ ἂν τοῦτο μὲν οὐ προσέκοπτε καὶ ὰπηξιοῦτο. Il est évident qu’une des deux négations est de trop. Peut-être faut-il voir dans un des deux οὐ la trace du complément de προσέκοπτε, qui n’est pas exprimé et qui serait bien nécessaire : αὐτοῖς γὰρ ἂν τοῦτο μὲν οὐ προσέκοπτε κτλ.
  3. [Couat : « de forme. » — Cf. supra IV, 21, dernière note.]
  4. [Couat : « bien que l’univers passe par des périodes limitées. » — Διοικῆται n’est pas traduit, et κἄν (même si) me semble confondu avec εἰ καὶ (bien que). En d’autres termes, la traduction de M. Couat (comme celles de Pierron et de Barthélemy-