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le trône, une famille qui s'éteint ; à côté d'elle, deux partis ambitieux, l'Espagne et les Guises, qui cherchent à mettre la main sur un peuple de près de vingt millions d'hommes. Et ce peuple lui-même est dominé par deux factions ennemies, armées jusqu'aux dents : catholiques et protestants se mesurent des yeux. Des torrents de sang vont couler si le tiers parti, le parti des Politiques, ne parvient pas à séparer les adversaires.

Mais à ce parti il faut un chef. Puisque la royauté déserte ce beau rôle, pourquoi ne serait-ce pas celui du clergé français ? Non ! Il pouvait adoucir les haines, il attise la guerre civile ; il devait soutenir la patrie contre l'étranger, il se vend à l'Espagnol pour la déchirer ; entre les ligueurs et les huguenots, il avait pour mission de planter comme un symbole de paix la croix de celui qui avait dit : Aimez-vous les uns les autres ; ce sont les gibets qu'il dresse, les bûchers qu'il allume, les poignards qu'il aiguise.

D'où vient ce déchaînement de fureurs, ce mépris de tous les enseignements de l'Évangile et de tous les devoirs de l'humanité ? Rabelais va nous l'apprendre. Souvenons-nous de l'île Sonnante et de ses étranges oiseaux, « papegaut, cardingaux, évesgaux, prêtregaux et clergaux ». L'imprudent Panurge ne s'avise-t-il pas tout à coup de vouloir réveiller à coups de pierre un vieil évesgaut qui ronfle à côté d'une jolie abbegesse ! Aussitôt maître Editue l'arrête : « Homme de bien, s'écrie-t-il, frappe, féris, tue et meurtris tous rois et princes de ce monde, en trahison, par venin ou autrement, quand tu voudras ; déniche des cieux les anges ; de tout auras pardon du papegaut. A ces sacrés oiseaux ne touche, d'autant qu'aimes la vie, le profit, le bien, tant de toi que de tes parents et amis vivants et trépassés ; encore ceux qui d'eux après naîtraient en sentiraient infortune ! »

Toute l'explication du rôle du clergé catholique pendant les luttes religieuses est là. Les huguenots voulurent toucher aux prêtregaux, aux évesgaux et au papegaut, et le papegaut déchaîna contre eux une guerre d'extermination. Peu importait aux prêtres et aux moines le salut des âmes, les devoirs