Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/209

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

II. — Les Chansons de geste.


Les plus anciennes chansons de geste. — Le terrain est maintenant déblayé.

Nous savons quelle est l’origine de l’épopée française, et nous venons d’assister à sa lente formation à travers les siècles.

Qu’elle soit de source germaine et d’éducation romane ; qu’elle soit, en d’autres termes, « le produit de la fusion de l’esprit germanique, sous une forme romane, avec la nouvelle civilisation chrétienne et surtout française[1] », personne aujourd’hui ne semble plus le mettre en doute.

Que les chansons de geste aient été précédées, depuis le Ve ou le VIe siècle, par des chants lyrico-épiques ou des cantilènes, c’est ce qui est également accepté par le plus grand nombre des érudits français et étrangers.

Que notre épopée nationale s’appuie sur des faits historiques et que ces faits aient été, dès l’époque des cantilènes, plus ou moins défigurés par la légende, c’est ce que nous avons tout à l’heure essayé de démontrer.

Ces démonstrations nous ont conduit jusqu’au IXe siècle, et telle est à nos yeux, comme nous l’avons dit plus haut, l’époque probable où nos premières épopées ont dû être chantées, non plus par tout un peuple, comme les antiques cantilènes, mais par ces chanteurs professionnels qui s’appellent les jongleurs.

Il n’est plus aujourd’hui permis de supposer que nos plus anciennes épopées soient postérieures au Xe siècle : car ici le texte de La Haye, qu’on attribue légitimement au Xe siècle, se dresserait en quelque sorte devant nous. Ce fragment dont la découverte a été d’un si haut prix est l’œuvre très médiocre d’un rhéteur de vingtième ordre qui avait sous les yeux un poème latin en hexamètres plus ou moins sonores et qui s’était donné la tâche de le réduire en prose. Par négligence ou par maladresse, le pauvre hère a laissé subsister dans son œuvre assez de traces de versification pour qu’il soit possible aux érudits

  1. G. Paris, la Littérature française au moyen âge, p. 25.