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ROMANS HISTORIQUES OU PSEUDO-HISTORIQUES

rompus, on ignore pourquoi, à la mort de Jules. Tel quel, l’ouvrage a eu un grand succès, comme le prouvent les nombreux manuscrits qu’on en possède et aussi les trois traductions différentes qu’on en a signalées en Italie.

On s’est demandé pourquoi ni Jehan ni Jacot n’ont admis dans leur récit à peu près historique tous ces prodiges, toutes ces bizarres aventures que l’on rencontre à profusion dans les poèmes dont les héros sont Grecs, même dans ceux qui concernent Alexandre. On peut répondre avec Amaury Duval[1] que L’histoire qu’ils écrivaient était trop rapprochée de leur temps, « et trop généralement connue pour qu’ils pussent la travestir à leur gré » ; et aussi « que l’imagination orientale, n’ayant eu aucune part dans la rédaction des annales romaines, ils n’y trouvaient à prendre que des faits qui avaient bien de la grandeur, quelque chose d’héroïque, mais rien de surnaturel ». C’est ce qui explique la différence frappante que présente au moyen âge, par rapport à l’histoire de César, l’histoire d’Alexandre, dont nous allons maintenant nous occuper[2].

II. Roman d’Alexandre[3]. — Tout ce qui a été écrit au moyen âge en langue vulgaire, particulièrement en français, sur Alexandre provient essentiellement, sauf quelques emprunts aux historiens anciens (surtout à Justin et à Quinte-Curce), des deux versions latines du Pseudo-Callisthènes[4], celle de Julius Valerius (avant 340), dont il a été fait au ixe siècle un abrégé

  1. Histoire littéraire de la France, XIX, 681 et suiv.
  2. La renommée de César a été grande au moyen âge. Nous n’en citerons que deux preuves empruntées à des poèmes en langue vulgaire : Obéron, dans Huon de Bordeaux, est le fils de Jules César et de la fée Morgue, et le Roman de Thèbes parle de la grandeur des armées de César et de Pompée. Mais il semble bien que cette renommée soit surtout d’origine savante et que la célébrité de Lucain, très étudié dans les écoles, y ait grandement contribué. Voir Wesemann, Cæsarfabeln des Mittelalters (programme de Lœwenberg de 1879).
  3. Ce chapitre s’appuie, naturellement, à peu près exclusivement sur la belle étude consacrée par M. P. Meyer à la légende d’Alexandre et à ses sources, et aussi sur l’important article où il traite des manuscrits, Rom., XI, 213 et suiv. Nous n’y renverrons toutefois, afin d’éviter les redites, que pour les points les plus importants.
  4. Cette compilation, écrite en grec à Alexandrie à une époque difficile à déterminer, mais qui n’est pas postérieure au ier siècle après Jésus-Christ, semble être l’œuvre d’un certain Æsopus, mentionné dans la version latine de Valerius, et nous est arrivée altérée, comme le montrent les différences des manuscrits et des versions (arménienne et syriaque du ve siècle, latine du ive siècle), que nous en possédons. Elle nous montre la légende d’Alexandre déjà formée et peut être considérée comme la base des nombreuses compositions fabuleuses qui nous viennent du moyen âge sur un sujet qui devait l’intéresser au plus haut point.