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appartiennent alors à toutes les parties du domaine d’oïl : à côté de Franciens (Guillaume de Ferrière, Bouchart de Marli), de Champenois (Aubouin de Sézanne, Gilles de Viés-Maisons), nous trouvons des Normands (Richard de Semilli, Roger d’Andeli), des Manceaux et Angevins (Amauri de Craon, Thibaut de Blaison, Robert de Mauvoisin), etc.

Enfin dans une troisième période (1230 à 1280 environ) le goût de la poésie lyrique, qui ne diminue point sensiblement dans la noblesse, se répand dans la bourgeoisie opulente des villes du Nord : à côté de grands personnages, comme Jean de Brienne, roi de Jérusalem, Hugues X de Lusignan, comte de la Marche, Pierre Mauclerc, duc de Bretagne, Thibaut de Champagne, Thibaut II, comte de Bar, Henri III, duc de Brabant, Charles d’Anjou, roi de Sicile, Philippe de Nanteuil, Raoul de Soissons, etc., on trouve un très grand nombre de bourgeois et de clercs, presque tous originaires de la Picardie, de l’Artois ou de la Flandre. C’est à Arras que la poésie courtoise jette son dernier éclat : elle y est représentée en dernier lieu par un certain nombre de poètes d’un talent réel et très varié, au premier rang desquels il faut citer le « prince du Pui », Jacques Bretel et Adam de la Halle. Vers 1280, elle s’éteint brusquement, après avoir suscité, pendant un siècle et demi environ, une production dont l’abondance avait été, il faut le reconnaître, souvent stérile.

La chanson courtoise. Les théories de l’amour courtois. — Sur les 2100 pièces environ qui nous en sont restées[1], le plus grand nombre sont des chansons. La chanson est pour le moyen âge ce qu’était l’ode pour l’antiquité, c’est-à-dire le genre lyrique par excellence[2]. Dante, qui exprime nettement cette opinion[3], constate que ce sont les chansons que l’on conserve avec le plus de soin, et qu’elles occupent le premier rang dans beaucoup de manuscrits[4]. De même que la forme

  1. M. Raynaud en compte exactement 2154, mais il faut réduire un peu ce chiffre, car il y a quelques doubles emplois. Les poètes nommés sont au nombre de 230 environ ; mais il ne faut pas oublier qu’il a dû se perdre, surtout dans la première période, un assez grand nombre de noms ; nous avons plusieurs centaines de chansons anonymes qui, pour le plus grand nombre, ne sont certainement point des poètes connus.
  2. Dans le manuscrit d’Oxford, les chansons sont qualifiées grans chans.
  3. De vulg. Eloq., II, 3.
  4. C’est une observation dont nous pouvons vérifier la justesse dans un certain nombre de recueils qui classent les pièces par ordre de genres.