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aussi comme mes, mon, cil, celui, nuls, nul, nului, l’article, si souvent répété, gardaient une mobilité appréciable, la simple adjonction d’une s était encore un élément important de variété par les diverses modifications qu’elle entraînait dans la finale des mots et les changements qu’elle apportait à leur physionomie[1].

Dans l’ensemble, le système morphologique de l’ancien français, soit qu’on considère seulement l’harmonie du langage, soit qu’on tienne compte de la valeur significative des formes, était beaucoup plus riche que le français actuel, et beaucoup plus près de la beauté linguistique. Il avait plus de formes, et elles étaient meilleures, en ce sens que beaucoup d’entre elles, encore aujourd’hui distinguées fictivement par l’orthographe, étaient réellement différentes dans la prononciation, et permettaient de reconnaître au son, genres, nombres, personnes et modes sans autre secours que celui des flexions. Ces avantages n’allaient pas toutefois, il faut bien le dire, sans des inconvénients très réels. La richesse entretenait dans cette masse de formes un certain désordre ; les fonctions, nous allons le voir, se partageaient entre plusieurs formes, enlevant ainsi à l’expression quelque chose de sa régularité et de sa vigueur.

Syntaxe. Restes d’habitudes synthétiques. — En syntaxe, comme en morphologie, la caractéristique essentielle de l’ancien français est dans sa déclinaison à deux cas. Par rapport au latin, elle représente un tel état de décadence, la réduction du nombre des formes a été si grande, les rapports multiples marqués par les anciens cas ont dû être si souvent abandonnés aux prépositions, qu’on se sent déjà en présence

  1. Devant s, b, p, f tombent. Ex. : Sujet pluriel : li nef ; régime : les nés (on prononce encore aujourd’hui les ö (= les œufs), les bö (= les bœufs), les ser (= les cerfs) ; c tombait : li bec, les bez ; li lac, les las (on prononce encore aujourd’hui un la = lacs).

    t, d + s donnaient z = ts : li enfant, les enfanz. Au XIIIe siècle, l’élément dental disparut ; z se prononça et plus tard s’écrivit s : les enfans. C’est encore l’orthographe de la Revue des Deux Mondes.

    l + s donnait us, écrit x : li cheval, les chevaus ou chevax, li col, les cols, les cous, les cox. Cette abréviation n’ayant pas été comprise, on ajouta u : chevaux. C’est encore l’orthographe erronée d’un certain nombre de pluriels.

    rm, rn + s donnaient rs, li verm, les vers ; li jorn, les jors. mp, ng, + s se réduisaient à nz : li champ, les chanz ; li sang, les sanz ; st + s donnait z : li ost, les oz ; cest, cez.

    J’ai cité partout des pluriels pour faciliter la comparaison avec le français moderne, mais la même alternance se retrouve au singulier, dans l’ordre inverse : li vers, le verm.