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tratifs compteront longtemps encore parmi leurs formes les sujets cist, cil, mais sans qu’on les distingue des régimes[1]. Ce n’est guère que le relatif qui gardera à peu près intacte une flexion à deux cas (sujet : qui, régime : que), encore en sacrifiant le troisième (cui), qu’il possédait originairement.

Il nous est resté dans les substantifs un certain nombre de nominatifs ; fils, sœur, prêtre, pâtre, peintre, traître, chantre, qui ont prévalu sur fil, sereur, prouvaire, pâteur, peinteur, traiteur, chanteur[2], et aussi quelques mots qui ont gardé les deux formes considérées comme deux mots différents : sire, seigneur, gars, garçon, copain, compagnon, nonne, nonnain. Mais la langue les emploie indifféremment comme sujets et comme régimes ; il n’y en a qu’un qui soit exclusivement sujet, c’est om (l’homme), devenu pronom indéfini[3].

Pour le reste, la déclinaison s’est éteinte si complètement qu’il n’en est resté aucun souvenir. C’est Raynouard, qui au commencement de ce siècle en a révélé l’existence, mais à la fin du XVe siècle elle était si étrangère à tous, que ceux qui lisaient de vieux textes, tout en remarquant la présence ci et là d’une s à la fin des mots, ne s’en expliquaient nullement le rôle. Tel le poète Villon, qui voulant écrire en « vieil françois », ajoute des s à ses mots, mais à tort et à travers, quel que soit le cas :

 
Voire, où sont de Constantinobles
L’emperier aux poings dorez,
Ou de France ly roy tresnobles
Sur tous autres roys décorez,
Qui, pour ly grand Dieux adorez,
Bastist églises et convens ?
S’en son temps il fut honorez,
Autant en emporte li vens[4].

  1. Le même scribe met ce, ces pour cist (9, 10, Cf. 20, 76, 78, 89, etc.) ceulz pour cil (11, 73), E. Deschamps a souvent ceuls au sujet pluriel : Or vueillent ceuls mesdisans aviser : Ceuls s’acusent qui dient mal d’autrui (I, p. 99, Cf. 91). Cil s’est maintenu jusqu’au seuil du XVIIe siècle.
  2. Notre mot chanteur vient de cantatorem et non de cantorem. Il faisait en vieux français au sujet chantere, au régime chanteor, chanteeur, pasteur est savant.
  3. Il faudrait ajouter, si cela n’était connu de tout le monde, que notre formation du pluriel remonte à la vieille déclinaison.
    Singulier Pluriel
    Quand des formes li murs, li mur,
    le mur, les murs


    les premières s’éteignirent, le singulier et le pluriel se trouvèrent distingués par l’s, qui devint le signe du pluriel.

  4. J’ai marqué en les soulignant, les mots où le poète se trompe. Au vers 3 et