Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 1re série, tome 1.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
SUR VILLE-HARDOUIN

pas moins remarquable que sa valeur. Après avoir consacré près d’un siècle de vie à des entreprises qui avoient fondé la grandeur de son pays, il étoit encore destiné, avant de mourir, à tenter la plus extraordinaire qu’on pût imaginer, et, contre toute apparence, à la faire réussir. Le sénat de Venise, assemblé par le doge, demanda aux Croisés une somme considérable pour fournir des vaisseaux ; il offrit en outre de prendre part à la guerre, et d’équiper cinquante galères, à condition que les conquêtes seroient partagées. Ces propositions furent acceptées : mais les lois de Venise exigeoient alors que les décisions du sénat fussent confirmées par le peuple ; et les Croisés craignoient que cette nation, entièrement livrée au commerce, s’enrichissant depuis long-temps par les désastres des autres États, peu touchée d’ailleurs de l’amour de la gloire, refusât de partager les périls et les pertes d’une guerre d’outre-mer.

Le peuple s’assembla donc dans l’église Saint-Marc, où se trouvèrent aussi le sénat et le doge. Après qu’une messe du Saint-Esprit eut été célébrée, les commissaires des Croisés s’avancèrent et demandèrent à être entendus. Lorsque le calme que leur présence avoit troublé fut rétabli, Ville-Hardouin parla au nom de ses collègues ; il retraça éloquemment l’état de Jérusalem et du saint sépulcre ; il peignit les maux qu’éprouvoient les Chrétiens, et finit par supplier le peuple vénitien de confirmer la décision du sénat. Lorsqu’il eut cessé de parler, lui et les cinq seigneurs qui l’accompagnoient, croyant devoir sacrifier toute espèce d’orgueil à la cause de Dieu, se mirent à genoux devant cette multitude, et, en fondant en