Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 1re série, tome 4.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
397
SUR DU GUESCLIN.

cepter ce présent, et que cette précieuse table luy venoit d’Alphonse, son père, qui l’avoit eüe de son ayeul, auquel elle avoit été donnée pour payer la rançon d’un roy de Grenade qu’il avoit fait prisonnier dans une bataille, et qui n’avoit pu recouvrer sa liberté que par le sacrifice qu’il avoit fait d’une chose si rare et si curieuse.

Le prince s’estima très-honoré de ce présent, et l’assura qu’il l’en recompenseroit avec usure. Plus il étudioit cette table et plus il en étoit charmé. La joye qu’il en eut ne luy permit pas d’attendre plus longtemps à la faire voir à la princesse sa femme, qui passoit pour la plus belle dame de son siècle. Elle étoit à sa toilette quand on luy vint annoncer ces deux nouvelles à la fois, que le prince son époux avoit promis du secours à Pierre, et que ce Pierre avoit fait présent de sa belle table au Prince. Elle comprit bien que ce don leur coûteroit un jour bien cher, et ne put s’empêcher de dire à ses dames d’atour, et à ses filles qui étoient autour d’elle, que ce cruel prince qui avoit trempé ses mains dans le sang de sa propre femme, ne meritoit pas de recevoir un accueil si favorable dans leur Cour ; que la mort d’une si pieuse Reine crioit vengeance devant Dieu et devant les hommes, et qu’elle s’étonnoit comment son mary se laissoit aller aux cajoleries de cet inhumain, qui ne le payeroit un jour que d’ingratitude.

Cette sage princesse penetrant les grosses suites que cette affaire auroit, donna quelques larmes à l’idée qu’elle se fit de tous les malheurs qu’elle devoit traîner après elle. Son jeune fils, qui fut depuis roy d’Angleterre sous le nom de Richard second, la voyant pleu-