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ANCIENS MÉMOIRES

une cause non seulement fondée sur la justice, mais aussi sur la religion ; qu’on ne pouvoit mourir qu’une fois, et que dans ce rencontre le merite et la pieté se trouveroient mêlées dans un même trépas, qui seroit regardé devant Dieu comme un sacrifice.

Un discours si fort et si touchant fut interrompu par la voix publique de toute l’armée, qui luy témoigna n’avoir point de plus grand désir que d’en venir aux mains incessamment. On alla donc de ce pas aux ennemis. Henry fut un peu surpris de voir la belle ordonnance de l’armée de Pierre et la fiere contenance de ceux qui la composoient. Il ne put s’empécher de le témoigner à Bertrand, auquel il montra l’étendard du jeune prince de Belmarin, luy disant que s’il pouvoit tomber dans ses mains, jamais homme n’auroit fait une si belle prise, car il en auroit pour sa rançon plus d’argent qu’il n’y en avoit dans tout le royaume d’Espagne. Guesclin luy répondit qu’il ne falloit faire quartier à personne ; qu’il assommeroit tous les juifs et les sarrazins qu’il prendroit, avec autant de flegme qu’un boucher tuoit ses beufs et ses moutons, et qu’à moins qu’ils ne demandassent le baptême pour se faire Chrétiens, il n’en échapperoit pas un seul ; que c’étoit dans cet esprit qu’il alloit combattre, et qu’il avoit pensé de ranger leur armée dans cet ordre, sçavoir : que le corps de bataille seroit au milieu commandé par le Roy, l’aîle droite par lui même, et l’aîle gauche par le Besque de Vilaines. Il n’y avoit dans toutte cette armée pas plus de vingt mille hommes. Le roy Pierre en comptoit dans la sienne plus de cinquante mille, dont il fit cinq batailles. Quand il les eut rangé eu belle ordonnance, il conjura le fils du