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[1649] MÉMOIRES

dans un temps calme à son peu d’esprit. Elle eut peu de foi dans la galanterie, nulle dans les affaires. Elle n’aimoit rien que son plaisir ; et au dessus de son plaisir, son intérêt. Je n’ai jamais vu une personne qui ait conservé dans le vice si peu de respect pour la vertu.

Si ce n’étoit pas une espèce de blasphème de dire qu’il y a quelqu’un dans notre siècle plus intrépide que le grand Gustave et M. le prince, je dirois que ç’a été M. Mole, premier président. Il s’en est fallu beaucoup que son esprit n’ait été aussi grand que son cœur : il ne laissoit pas d’y avoir quelques rapports, par une ressemblance qui n’y étoit toutefois qu’en laid. Je vous ai déjà dit qu’il n’étoit pas congru dans sa langue, et il est vrai ; mais il avoit une sorte d’éloquence qui, en choquant l’oreille, saisissoit l’imagination. Il vouloit le bien de l’État préférablement à toutes choses, même à celui de sa famille, quoiqu’il parût l’aimer trop pour un magistrat : mais il n’eut pas le génie assez élevé pour connoître d’assez bonne heure le bien qu’il eût pu faire. Il présuma trop de son pouvoir : il s’imagina qu’il modéreroit la cour et sa compagnie. Il ne réussit à l’un ni à l’autre : il se rendit suspect à tous les deux, et ainsi il fit du mal avec de bonnes intentions. La préoccupation y contribua beaucoup. Il étoit extrême en tout, etj’ai même observé qu’il jugeoit toujours des actions par les hommes, mais presque jamais des hommes par les actions. Comme il avoit été nourri dans les formes du Palais, tout ce qui étoit extraordinaire lui étoit suspect. Il n’y a guère de disposition plus dangereuse en ceux qui se rencontrent dans les affaires où les règles ordinaires n’ont plus de lieu.