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[1649] MÉMOIRES

avec monsieur son mari et avec elle, je fis le pas dont je viens de vous rendre compte. J’insinuai, de même concert, qu’on nous feroit plaisir de faire ouvrir la scène par M. d’Elbœuf. Comme il avoit été, dans le temps du cardinal de Richelieu, douze ou quinze ans en Flandre, à la pension d’Espagne, la voie paroissoit toute naturelle. Elle fut aussitôt prise que proposée. Le comte de Fuensaldagne fit partir dès le lendemain Arnolfini, moine bernardin, qui se fit habiller en cavalier, sous le nom de don Joseph de Illescas. Il arriva chez M. d’Elbœuf à deux heures après minuit, et il lui donna un petit billet de créance : il la lui expliqua telle que vous vous la pouvez imaginer.

M. d’Elbœuf se crut l’homme le plus considérable du parti ; et le lendemain, au sortir du Palais, il nous mena dîner tous chez lui, c’est-à-dire tous les plus considérables, en nous disant qu’il avoit une affaire de conséquence à nous communiquer. M. le prince de Conti, messieurs de Beaufort et de La Mothe, et les présidens Le Coigneux, de Bellièvre, de Nesmond, de Novion et Viole s’y trouvèrent. M. d’Elbœuf, qui étoit grand saltimbanque de son naturel, commença la comédie par la tendresse qu’il avoit pour le nom français, qui ne lui avoit pas permis d’ouvrir seulement un petit billet qu’il avoit reçu d’un lieu suspect. Ce lieu ne fut nommé qu’après deux ou trois circonlocutions toutes pleines de scrupules et de mystères ; et le président de Nesmond, qui, avec le feu d’un esprit gascon, étoit l’homme du monde le plus simple, remplit la seconde scène d’aussi bonne foi qu’il y avoit eu d’art à la première. Il regarda ce billet, que M. d’Elbœuf avoit jeté sur la table très-proprement