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que je fus à Vincennes ; mais le tragique en fut commenté par mes amis, et ne diminua pas la pitié du peuple à mon égard. Cette pitié ne diminuoit point non plus les frayeurs de M. le cardinal ; elles le portèrent jusqu’à prendre la pensée de me transférer à Amiens, à Brest, au Havre-de-Grâce. J’en fus averti ; je fis le malade. On envoya Vesou pour voir si effectivement je l’étois. On m’a parlé différemment de son rapport. Ce qui empêcha ma translation fut la mort de M. l’archevêque, qui émut à un point tous les esprits, que la cour pensa plus à les adoucir qu’à les effaroucher. La manière dont je fus servi en ce rencontre a du prodige.

[1654] Mon oncle mourut[1] à quatre heures du matin ; à cinq l’on prit possession de l’archevêché en mon nom[2], avec une procuration de moi en très-bonne forme ; et M. Le Tellier, qui vint cinq et un quart dans l’église pour s’opposer de la part du Roi, y eut la satisfaction d’entendre que l’on fulminoit mes bulles dans le jubé. Tout ce qui est surprenant émeut les peuples. Cette scène l’étoit au dernier point, n’y ayant rien de plus extraordinaire que l’assemblage de toutes les formalités nécessaires à une action de cette nature, dans un temps où l’on ne croyoit pas qu’il fût possible d’en observer une seule. Les curés s’échauffèrent encore plus qu’à leur ordinaire : mes amis souffloient le feu ; les peuples ne voyoient plus leur archevêque ; le nonce, qui croyoit avoir été doublement joué par la cour, parloit fort haut et menaçoit de censures. Un petit livre fut mis au jour, qui prou-

  1. Mon oncle mourut : Le 21 mars 1654. (A. E.)
  2. Ce fut Caumartin qui en fit prendre possession. (A. E.)