Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 46.djvu/480

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accident qui fit éclater tout d’un coup ces différens sentimens et qui confirma pour la dernière fois les uns dans le commandement, et les autres dans la servitude.

C’est la conjuration de Jean-Louis de Fiesque, comte de Lavagne, qu’il faut reprendre de plus loin, pour en connoître mieux les suites et les circonstances.

Au temps de ces fameuses guerres dans lesquelles Charles-Quint, empereur, et François premier, désolèrent toute l’Italie, André Doria, sorti d’une des meilleures maisons de Gênes, et le plus grand homme de mer qui fût à cette heure-là dans l’Europe, suivoit avec ardeur le parti de la France, et soutenoit la grandeur et la réputation de cette couronne sur les mers, avec un courage et un bonheur qui donnoient autant d’avantage à son parti que d’éclat à sa gloire particulière. Mais c’est un malheur ordinaire aux plus grands princes de ne considérer pas assez les hommes de service, quand une fois ils croient être assurés de leur fidélité. Cette raison fit perdre à la France un serviteur si considérable ; et cette perte produisit des effets si fâcheux, que la mémoire en sera toujours funeste et déplorable à cet État. En même temps que ce grand personnage fut engagé dans le service du Roi en qualité de général de ses galères, avec des conditions avantageuses, ceux qui tenoient les premières places de la faveur et de la puissance dans les conseils commencèrent à envier et sa gloire et sa charge, et formèrent le dessein de perdre celui qu’ils voyoient trop grand, seigneur pour se résoudre jamais à dépendre d’autres personnes que de son maître. Comme ils jugèrent qu’il ne seroit d’abord ni sûr ni utile à leur dessein de lui rendre de mauvais offices auprès du Roi, qui venoit de témoigner une trop bonne opinion de lui pour en concevoir sitôt une mauvaise, ils prirent une voie plus délicate ; et joignant les louanges aux applaudissemens publics que l’on donnoit aux premières armes que Doria avoit prises pour la France, ils se résolurent de lui donner peu à peu des mécontentemens que l’on pouvoit attribuer à la nécessité des affaires générales plutôt qu’à leur malice particulière et qui néanmoins ne laissèrent pas de faire l’effet qu’ils prétendoient. Ils s’appliquèrent donner à cet esprit altier et glorieux matière de s’échapper, pour avoir un moyen plus aisé de le ruiner dans l’esprit du Roi ;