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la liberté, et que l’applaudissement général qu’il recevoit des siens lui donnoit plutôt la pensée de jouir de cette gloire avec tranquillité, que de s’en servir pour des desseins plus élevés. D’autres ne se peuvent imaginer que le grand emploi qu’il avoit pris tout de nouveau dans le service de l’Empereur et le soin continuel qu’il avoit toujours eu de tenir la noblesse de Gênes attachée à sa maison, partissent d’un esprit enclin au repos et absolument désintéressé. Ils croient qu’il étoit trop habile homme pour ne pas voir qu’un souverain dans Gênes ne pouvoit plaire au conseil d’Espagne, et qu’il vouloit seulement l’entretenir par une modération apparente et remettre de plus hautes entreprises à des temps plus favorables.

Sa vieillesse néanmoins eût pu diminuer justement l’appréhension que l’on avoit de son autorité si l’on n’eût pas vu un autre lui-même dans une puissance presque égale à la sienne. Jeannetin Doria, son cousin et son fils adoptif, âgé d’environ vingt-huit ans, étoit extrêmement vain, altier et insolent : il avoit en survivance toutes les charges de son père, et tenoit par ce moyen la noblesse de Gênes dans ses intérêts. Il menoit une façon de vie plus éclatante que celle d’un citoyen qui ne veut pas s’attirer de l’envie, et donner de l’ombre à la république. Il témoignoit même assez ouvertement qu’il en dédaignoit la qualité. L’élévation extraordinaire de cette maison produisit le grand mouvement dont nous allons parler, et donna ensuite un exemple mémorable à tous les États de ne souffrir jamais dans leurs corps une personne si éminente, que son autorité puisse faire naître le dessein de l’abaisser, et le prétexte de l’entreprendre.

Jean-Louis de Fiesque, comte de Lavagne, sorti de la plus illustre et de la plus ancienne maison de Gênes, riche de plus de deux cent mille écus de rente, âgé de vingt-deux ans, doué d’un des plus beaux et plus élevés esprits du monde, ambitieux, hardi et entreprenant, menoit en ce temps-la dans Gênes une vie bien contraire à ses inclinations. Comme il étoit passionnément amoureux : de la gloire, et qu’il manquoit d’occasions d’en acquérir, il ne songeoit qu’aux moyens d’en faire naître : mais quelque peu de matière qu’il en eût alors, il eût pu se promettre néanmoins que son mérite lui auroit ouvert le chemin de la gloire où il aspiroit en