Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 46.djvu/490

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où l’on a besoin d’une considération dans le monde à laquelle la réputation d’un homme de votre âge, quelque grande qu’elle puisse être, ne sauroit s’élever ; et vous formez un dessein qui demande des forces qu’un des plus grands rois de la terre n’a pu encore jusqu’à présent mettre sur pied. Ces pensées naissent dans votre esprit de deux faux raisonnemens qui sont comme attachés la nature de l’homme. Il se considère trop lui-même, c’est-à-dire que de ce qu’il croit pouvoir il fait la règle de ce qu’il peut, et qu’il juge toujours peu sûrement des autres, parce qu’il en juge par rapport à lui plutôt qu’à eux ; et qu’il regarde comme, ils le peuvent servir, et non pas comme ils le doivent ou comme ils le veulent pour leur intérêt. Le premier est très-dangereux, parce que, comme on ne fait pas une grande affaire tout seul et que l’on a besoin de la communiquer à beaucoup de gens, il est très-important qu’ils la croient raisonnable et possible ; ou autrement celui qui l’entreprendra trouvera peu d’amis qui veuillent suivre sa fortune. Le second est encore plus général et n’est pas moins dangereux, parce que dans les mêmes personnes de qui on prétend tirer du secours on trouve assez souvent les plus fortes résistances. Prenez donc garde que les grandes lumières que la nature vous a données, et que vous croyez peut-être avec justice pouvoir suppléer au défaut de l’expérience, ne vous fassent tomber dans le premier inconvénient ; et songez que, quelque brillantes qu’elles soient, il est bien malaisé qu’elles vous acquièrent, dans les esprits même les mieux disposés à vous servir, une estime proportionnée à l’exécution d’une affaire si difficile et si dangereuse. Mais il n’est pas croyable qu’elles éblouissent vos ennemis jusqu’au point de les empêcher de se servir avec utilité contre vous du prétexte que leur donnera votre jeunesse. Prenez garde que la grandeur de votre naissance et la réputation que vos bonnes qualités vous ont acquise, l’abondance de votre bien et les secrètes intelligences que peut-être vous avez ménagées, ne vous jettent dans le second inconvénient, et ne vous fassent croire que le secours de ceux qui vous ont promis ne peut vous manquer au besoin. Changez donc cette pensée ; ou si vous l’avez, né considérez plus les autres par rapport à vous, mais par rapport à