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lui paroissoient venir du fonds de son naturel, et non pas d’une conduite étudiée. Il avoit un air toujours égal, ouvert, agréable, et même enjoué : il étoit civil avec tout le monde, mais avec des distinctions obligeantes, selon le mérite et la qualité. Sa libéralité étoit si grande, qu’il alloit au devant du besoin de ses amis : il gagnoit de la sorte les pauvres par ses largesses et les riches par son honnêteté. Il observoit religieusement ses paroles : il avoit une chaleur à obliger qui ne se relâchoit jamais : sa maison et sa table étoient ouvertes à tous venans. Il étoit magnifique en toutes choses jusqu’à la profusion ; et jamais personne n’a été mieux persuadé que lui que l’avarice, la sécheresse et l’orgueil ternissent les plus belles qualités des grands hommes. Mais ce qui donnoit un lustre merveilleux aux siennes, c’est qu’il étoit bien fait de sa personne, et que tout ce qu’il faisoit étoit accompagné d’un air noble et grand qui sentoit sa naissance illustre, et qui attirait l’inclination et le respect de tout le monde.

Cette conduite lui assura tellement les cœurs de ses amis, que pas un de ceux qui lui avoient promis de le servir ne manqua de foi ni de discrétion dans une affaire si délicate : chose extraordinaire à la vérité dans les conjurations, où il faut tant d’acteurs et tant de secret, que quand il n’y auroit point d’infidèle, il est malaisé-qu’il ne s’y trouve toujours quelque imprudent. Mais ce qu’il y eut de plus admirable en celle-ci, ce fut que ses ennemis voyant son procédé toujours égal, ils n’en prirent aucun ombrage, parce qu’ils attribuoient plutôt ce qu’il y avoit de trop éclatant dans ses actions à son humeur naturelle qu’à un dessein formé.

Ce fut sans doute une des causes du mépris que fit André Doria des avis qu’il reçut de Fernand Gonzague et de deux ou trois autres, touchant cette entreprise ; je dis une des causes, parce qu’encore que la conduite de Jean-Louis contribuât à ôter la méfiance de l’esprit de ce vieux politique jaloux de son autorité, il falloit néanmoins qu’il y eût quelque autre raison d’un si grand aveuglement. Mais il est difficile de la pénétrer, si nous ne la rapportons à la Providence, qui prend plaisir de faire connoître la vanité de la prudence humaine, et de confondre l’orgueil de ceux qui se flattent de pouvoir démêler les replis du cœur des hommes, et d’avoir un discernement infaillible pour toutes les choses du monde.