Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 46.djvu/507

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tout le monde, et s’acquît, avec tant de soin les cœurs de ses citoyens. Je ne puis désavouer que la maxime qui sert de fondement à cette opinion ne soit un trait de fine politique ; et il semble qu’ayant pour but la médiocrité des particuliers, elle doive avoir pour effet la sûreté générale : mais je suis persuadé qu’elle est fort injuste, en ce qu’elle corrompt la nature des bonnes qualités, qui deviennent par cette raison nuisibles ou dangereuses à celui qui les possède. Je la crois même pernicieuse, parce qu’en rendant le mérite suspect elle étouffe toutes les semences de la vertu, et dégoûte tellement de l’amour de la gloire, qu’on ne se porte jamais qu’avec crainte aux belles actions, et que l’on se détourne de celles qui pourroient être utiles à l’État, pour éviter de donner de l’ombrage au gouvernement. Il arrive aussi qu’au lieu de retenir les hommes de grand cœur dans les bornes de cette égalité qu’elle prescrit, elle les porte quelquefois à donner un cours plus libre à leur ambition, et à prendre des résolutions extrêmes pour secouer le joug d’une loi si tyrannique.

Le comte ne se fioit pas tellement aux bonnes qualités de cette populace, que cette confiance l’empêchât de s’assurer des gens de guerre qui sont principalement nécessaires pour de semblables entreprises. Il partit au commencement de l’été, en apparence pour visitez ses terres ; mais dans la vérité ce fut pour remarquer les gens de service qui se trouvoient alors parmi ses sujets, et pour les accoutumer aux exercices de la guerre, sous prétexte de la crainte qu’il disoit avoir alors du duc de Plaisance. Il vouloit aussi donner les ordres nécessaires au dessein qu’il avoit de faire entrer secrétement du monde dans Gênes quand il seroit temps, et s’assurer des sentimens de ce duc, qui lui promit deux mille hommes de ses meilleures troupes.

Le comte revenant sur la fin de l’automne, ajouta à sa vie ordinaire une profonde dissimulation pour ce qui regardoit la maison de Doria : témoignant, en toutes les rencontres, une grande vénération envers la personne d’André et une amitié très-étroite à Jeannetin, afin de faire connoître à tout le monde que ses divisions passées étoient entièrement assoupies, et de leur donner toutes les marques imaginables d’une liaisos extrêmement assurée.