tort de s’obstiner dans une douleur stérile, que tous ses gémissements ne serviraient à rien, que la même fin nous attendait tous, et aussi, hélas ! le même domicile. Bref, il lui tint tous les discours propres à guérir un cœur ulcéré. Mais elle, choquée qu’un étranger osât la consoler, se déchire le sein de plus belle, s’arrache les cheveux et les jette à poignées sur le corps de celui qu’elle pleure.
« Le soldat, sans se décourager, insiste de nouveau pour qu’elle prenne au moins quelque nourriture, tant et si bien que la servante, tentée sans doute par l’odeur du vin, et cédant à une instance si obligeante, tendit la première vers le souper sa main vaincue. Aussitôt restaurée, elle se mit à son tour en devoir de battre en brèche l’opiniâtreté de sa maîtresse : « A quoi vous sert-il, dit-elle, de vous laisser mourir de faim, de vous ensevelir toute vive, et, avant la date fixée par les destins, de livrer à l’Achéron une âme qu’il ne réclame pas encore ?
« Ne voulez-vous pas revenir à la vie ? Ne voulez-vous pas, écartant ces chimères dont se nourrit trop facilement un cœur de femme, jouir de la lumière du jour tant que vous le pourrez ? La vue de ce corps glacé devrait suffire à vous convaincre combien la vie est chose précieuse. »
« On n’écoute pas impunément une voix amie qui vous exhorte à prendre de la nourriture et à vivre ; la veuve, exténuée par un jeûne de plusieurs jours, laisse enfin vaincre son opiniâtreté avec non moins d’avidité que sa servante, elle se garnit l’estomac. Mais elle avait cédé la dernière.
- ↑ Virgile, Enéide, IV, 34.