Page:Peyrebrune - Les Freres Colombe.djvu/33

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— C’est juste, répondit gravement le frère aîné, qui n’attendait que cette requête.

— Tu vois, mignonne, tu n’as plus besoin de t’inquiéter maintenant.

Scipion exultait. Il se leva et se mit à gesticuler, parlant à tort et à travers de choses oiseuses : du temps qu’il faisait (la neige tombait, blanchissant les toits), du pays que l’on ne devrait jamais quitter… Annibal l’interrompit.

— Il nous sera bien difficile de la garder ici, dit-il, éprouvant le besoin de se faire forcer la main.

— Pourquoi ? Rien de plus simple, au contraire. Je vais transporter mon lit dans la cuisine ; je l’enlèverai chaque matin ; la petite prendra ma chambre.

— Mais tu seras mal, tandis que moi…

— Tu plaisantes ! J’aurai plus chaud. Il y a longtemps, d’ailleurs, que je voulais coucher dans la cuisine ; une idée.

— Alors, si tu y tiens… concéda Annibal.

— Tu vas voir ; ça ne traînera pas.

Et Scipion, enlevant rapidement son habit, s’en alla trimbalant dans la pièce voisine, tirant le lit, faisant le ménage, leste comme une femme, et le cerveau tout enflammé d’un plaisir de dévouement qu’il n’avait pas éprouvé depuis Mamette et qui le réveillait comme d’un long et pénible engourdissement.

— Là, dit-il reparaissant, les draps sont au lit. Tu vas t’en aller dormir, petite. À propos, comment t’appelles-tu ?

— Je m’appelle Manuon.

— Manon…, Mamette balbutia encore Scipion, on dirait que ça se ressemble…

Et une tristesse inexplicable lui traversa le cœur.

— Et vous ? disait la petite fille, les regardant, un peu inquiète, ses grands yeux clairs vaguement songeurs.

— Mon frère aîné se nomme Annibal, et moi Scipion. Allons, quitte ton beau bonnet blanc et viens te coucher.

— Mon bonnet, dit-elle en le retirant vivement ; je l’avais