Page:Philostrate - Apollonius de Tyane, sa vie, ses voyages, ses prodiges, 1862.djvu/44

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peuple, et que, si on ne le laissait parler, il périrait, et avec lui le peuple tout entier. Alors Apollonius se tourna vers la foule, et fit signe qu’il fallait écouter le gouverneur. Tout le monde se tut, par respect pour Apollonius : on déposa même sur les autels voisins le feu qui avait été apprêté. Cela rassura le gouverneur, qui désigna au peuple plusieurs citoyens comme ayant amené cette famine en cachant le blé dans divers endroits de la province. Comme les Aspendiens voulaient aussitôt se porter sur les terres des accapareurs, Apollonius leur fit signe de n’en rien faire, mais de faire plutôt comparaître les coupables, et d’obtenir le blé de leur consentement. Quand ils eurent été amenés, peu s’en fallut qu’Apollonius ne rompît le silence pour lancer contre eux des invectives, tant il était touché des larmes du peuple : car il était entouré de femmes et d’enfants qui criaient, de vieillards qui gémissaient de voir leur mort avancée par la faim. Mais, par respect pour la loi du silence, il écrivit les reproches qu’il avait à faire sur des tablettes qu’il donna à lire au gouverneur. Les tablettes portaient ces mots : « Apollonius aux Aspendiens accapareurs de blé. La terre est la mère commune, elle est juste ; mais vous, vous en avez fait votre mère à vous seuls. Si vous ne cessez pas vos pratiques, je ne souffrirai pas que vous restiez plus longtemps sur son sein. » Ils furent frappés de terreur, le marché fut rempli de blé, et la ville revint à la vie.

XVI. Lorsque le temps qu’il s’était prescrit pour son silence fut écoulé, il se rendit à Antioche la grande, et entra dans le temple d’Apollon Daphnéen, auquel les Assyriens rapportent une fable arcadienne. Selon eux, Daphné, fille du fleuve Ladon (car ils ont un Ladon[1]), fut métamor-

  1. Le véritable Ladon est un fleuve d’Arcadie. On en cite encore d’autres du même nom, mais moins célèbres, en Élide et en Béolie. Le fleuve qui baignait Antioche se nommait l’Oronte.