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méditation VI

On peut dire qu’au moment où j’écris (1825) la gloire de la truffe est à son apogée. On n’ose pas dire qu’on s’est trouvé à un repas où il n’y aurait pas eu une pièce truffée. Quelque bonne en soi que puisse être une entrée, elle se présente mal si elle n’est pas enrichie de truffes. Qui n’a pas senti sa bouche se mouiller en entendant parler de truffes à la provençale ?

Un sauté de truffes est un plat dont la maîtresse de la maison se réserve de faire les honneurs ; bref, la truffe est le diamant de la cuisine.

J’ai cherché la raison de cette préférence ; car il m’a semblé que plusieurs autres substances avaient un droit égal à cet honneur ; et je l’ai trouvée dans la persuasion assez générale où l’on est que la truffe dispose aux plaisirs génésiques ; et, qui plus est, je me suis assuré que la plus grande partie de nos perfections, de nos prédilections et de nos admirations proviennent de la même cause, tant est puissant et général le servage où nous tient ce sens tyrannique et capricieux !

Cette découverte m’a conduit à désirer de savoir si l’effet est réel et l’opinion fondée en réalité.

Une pareille recherche est sans doute scabreuse et pourrait prêter à rire aux malins ; mais honni soit qui mal y pense ! toute vérité est bonne à découvrir.

Je me suis d’abord adressé aux dames, parce qu’elles ont le coup d’œil juste et le tact fin ; mais je me suis bientôt aperçu que j’aurais dû commencer cette disquisition quarante ans plus tôt, et je n’ai reçu que des réponses ironiques ou évasives : une seule y a mis de la bonne foi, et je vais la laisser parler ; c’est une femme spirituelle sans prétention, vertueuse sans bégueulerie, et pour qui l’amour n’est plus qu’un souvenir aimable.

« Monsieur, me dit-elle, dans le temps où l’on soupait